Le sous-titre de ce livre est exact. Le sample est à l'origine du hip-hop. Avant même que les sampleurs n'existent, dès les block parties new-yorkaises, il était déjà une culture de l'emprunt, du recyclage et de l'appropriation. Sa musique était avant tout celle des autres, celle jouée, puis déformée, par les DJs. La vulgarisation des échantillonneurs n'a fait qu’accélérer et faciliter cette logique. Et pour de nombreuses années, ces instruments ont formé l'ossature de ce genre musical. C'est précisément pour cela qu'il a été éminemment original. C'est l'une des raisons pour lesquelles le rap s'est distingué des différentes formes de spoken word et de chanter-parler qui, avant même son avènement, étaient déjà répandues dans la musique.
Brice Miclet, donc, a entrepris de retracer cette longue épopée, des origines où la matière première provenait des vinyles, à cet âge d'or du rap samplé qu'ont été les années 90, jusqu'à nos jours où il appartient toujours, quoique de façon moins proéminente, à l'arsenal du hip-hop. Comme les autres anthologies musicales parues chez Le Mot et le Reste, il le fait à travers une longue introduction qui retrace toute l'histoire du sampling, qu'il complète ensuite par une sélection musicale illustrative et représentative, traitée dans un ordre chronologique.
Là s'arrête cependant la comparaison avec les autres livres parus chez cet éditeur. Car plutôt que de chroniquer des albums, comme les autres, l'auteur s'attarde à chaque fois sur un morceau précis ; ou, plus exactement, sur deux morceaux précis. A chaque reprise, Brice Miclet parle de celui qui a usé du sample, mais aussi de celui dont il provient. Cela lui permet de nous édifier sur le hip-hop certes, mais aussi sur une pléthore d'autres genres, jazz, soul et funk (ils sont si nombreux, à avoir été convertis à ces musiques black par l'intermédiaire du rap), ainsi que bien d'autres, de la variété soviétique au black metal norvégien, en passant par la musique africaine. Ce livre est très documenté, c'est une mine, même si, bien sûr, ce déluge d'informations ne va pas sans quelques erreurs (le crunk est né à Memphis plutôt qu'à Atlanta, c'est Cam'ron non Cam'rone, c'est Euronymous non Eunonymous...), toutes mineures.
Conformément à la nature hypertextuelle (ou plutôt hyper-musicale) du hip-hop, Brice Miclet part d'un titre pour en évoquer un autre. Il traite à parts égales du pilleur comme du pillé, et souvent, il les met en rapport l'un à l'autre. Car si certains samples ont été choisis simplement parce qu'ils sonnaient bien, d'autres l'ont été pour signifier quelque chose, à la manière d'une citation ou d'un hommage. Ils ont cherché parfois à recontextualiser un message ancien, ou à s'inscrire dans un tradition, à signifier une allégeance à des musiciens du passé. Certains, comme Kanye West sur "Blood on the Leaves", quand il sample la reprise culte de "Strange Fruit" par Nina Simone, ont même instauré un dialogue imaginaire avec l'artiste d'origine.
Ce n'est toutefois pas le message qui préoccupe le plus Brice Miclet. Bien au contraire, en explorant les samples plutôt que les paroles, comme le font encore trop de livres dédiés au rap, il rappelle ce que sont avant toute chose le rap et le hip-hop : une musique. C'est presque un travail de musicologue qu'il mène, quand il démontre la diversité croissante des sources musicales des producteurs hip-hop, quand il décrit les techniques et les styles qui séparent ces artisans du son, quand il décortique les différentes méthodes de découpage et de manipulation qu'ils ont déployées. Exemple avec la chanson "Piggy Bank" de 50 Cent :
... elle est révélatrice, à sa manière, du son de l'époque (...) : trois mesures dans lesquelles le premier temps est toujours très marqué, martelé, puis une quatrième servant de transition, avant de reprendre en boucle. Du A/A/A/B hip-hop typique des années post-2001... (p. 190)
L'auteur rend aussi compte de l'incroyable pluralité de ces samples, de ceux qui triturent tant le matériau d'origine qu'il en devient méconnaissable, à ceux qui, au contraire, à l'instar du Puff Daddy de No Way Out, sont si fidèles à l'original qu'on ne sait plus ce qui sépare un morceau samplé d'une reprise. Cette dimension musicale, première dans le hip-hop, Brice Miclet la rappelle, il la souligne, il la met en exergue, dans une note salutaire qui précède sa sélection :
Il existe beaucoup de préjugés sur le hip-hop. L'un d'eux serait que cette musique soit née de la contestation, d'un mouvement social. C'est à nuancer. Ce qui a construit le genre, c'est sa capacité à absorber, par des procédés artistiques, techniques et technologiques, les autres styles musicaux, via le sampling. C'est dans son ADN, et ce livre tend à le montrer (p 37).
Ce propos, cependant, est lui-même à nuancer. Le sampling a maintenant cessé d'être au cœur du rap, et quelque part, la sélection de l'auteur le démontre. Alors que les morceaux qu'il choisit pour représenter les années 90 sont ceux des stars du rap, les suivants sont plus souvent ceux d'artistes marginaux. Des poids lourds comme Lil Wayne, Gucci Mane, Future et Kendrick Lamar sont cités, mais des gens comme MF Doom, Madlib, J Dilla et Flying Lotus sont de plus en plus présents. Tous sont des références, des chouchous de la critique, mais ils ont pour particularité d'opter pour une démarche esthétisante, plutôt que de viser les masses. Avec eux, le sample devient un art, signe inéluctable qu'il est une discipline vieillissante.
Brice Miclet désamorce par avance cette critique. Il précise dans son livre que "ceux qui prétendent que le sampling est mort avec l'arrivée de la trap ou même du dirty south ont une écoute étriquée du rap" (p. 38). Ce qui est juste. Le sample n'en a pas disparu. Mais il n'est plus qu'une arme à sa disposition, parmi d'autres, plutôt que son élément central. La musique, néanmoins, demeure au cœur de toute chose. Le rap ne se définit pas comme un discours. Et le grand mérite de ce livre, ce pourquoi il est un bol d'air frais, c'est de le rappeler clairement.
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