De nos jours, plus personne ne peut ignorer la scène de Detroit. Mais on ne parle toujours pas assez de BandGang. D'autres rappeurs locaux, en effet, occupent le haut de l'affiche. Après Tee Grizzley, Sada Baby est aujourd'hui sous la lumière, alors que le run fantastique qui a révélé ce truculent personnage s'est imposé date déjà. Il remonte à 2017.
La bande à Masoe, Paid Will, Lonnie Bands et aux autres, certes, est plus ancienne encore. Dernière venue dans la lignée des Eastside Chedda Boyz et des Doughboyz Cashout, les collectifs qui ont façonné le son de Detroit, s'étendant au-delà du sextet qui en forme le cœur, dédiée à la délinquance autant qu'au rap (comme l'a rappelé en septembre le sort de Jizzle P, abattu devant sa mère), elle est active depuis 2008. Mais elle n'a jamais été aussi prolifique et satisfaisante.
BandGang, ce sont des projets collectifs ou individuels nombreux et anarchiques, ce sont de gros coffres foutraques où s'entremêlent babioles et bijoux. Mais en 2020, ce projet commun de Javar Escobar et de Lonnie Bands, deux de ses membres fondateurs, se révèle être une très bonne pioche.
The Scamily, s'intitule-t-il (tout comme le titre introductif de The Family, une de leurs premières sorties en 2014), rappelant qu'il s'agit-là de scam rap, ce sous-genre populaire à Detroit dont le sujet central est l'arnaque à la carte bancaire.
De fait Teejayx6 et Kasher Quon, les rappeurs emblématiques de ce style, apparaissent ici, aux côtés d'autres membres de BandGang et de figures comme Drego, Beno, GT, Sada Baby, Nuk et Babyface Ray. C'est exactement de cela que parlent les titres "B.I.N." et "How To Scam" avec leur argot et leurs acronymes incompréhensibles ("je sais que tu ne comprends rien à ce langage avec ton cul trainard", dit Teejayx6, lucide), propres à cette activité illégale. Cependant, d'autres formes de criminalité les occupent, comme le deal, le proxénétisme, la violence en réunion ou l'usage de leurs Glocks. Leur musique, leurs paroles, ce sont celle des enfants irrécupérables mais assoiffés de succès dont parle Lonnie Bands sur son excellent titre solo, "Mama’s Boy".
Mais l'atout de cette sortie, c'est encore tout le reste. C'est cette musique variée mais dénuée d'inepties, avec ses pianos nerveux, ses nappes de synthé inquiétantes et ses petites mélodies, par exemple celles de "Trak 1" et de "Gotta Work". C'est cette façon mécanique de clamer ses vers, en appuyant sur la dernière syllabe. C'est cette capacité à se passer de refrain, sur les posse cuts "No Hook" et "Wrong With Me".
C'est la parfaite complémentarité des rappeurs, Javar usant de sa grosse voix de brute qui ne rigole pas, tandis que Lonnie Bands, le plus présent et remarquable des deux, joue d'un rap plus versatile, d'un style riche en contorsions et en onomatopées, d'une versatilité qui peut virer au chant ("Mama’s Boy") et évoquer parfois Sada Baby. C'est enfin le bon usage de leurs invités, tous au bon endroit, au bon moment.
C'est du pur rap de Detroit, mené à toute allure et déroulé sans grand temps mort, délivré sans trop de faux pas. Et franchement, qu'est-ce que le rap à offrir de mieux en 2020 ?
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