Fly Girls est un hommage rendu aux femmes du hip-hop français. Il met en avant leur place, pas toujours très visible, mais parfois décisive, dans la grande épopée de ce mouvement dans notre pays. Il n'en retrace pas l'histoire. Seules quelques lignes évoquent la lente affirmation de la féminité dans l'univers du rap et des disciplines associées, des filles au look unisexe des débuts aux premiers talons hauts. Cet ouvrage court ne livre pas non plus de biographie détaillée de ses protagonistes. Mais comme l'indique son sous-titre (histoires, avec un "s", du hip-hop féminin en France), il en dresse une série de portraits. Il le fait à travers quelques photos, les paroles de morceaux, ou encore des anecdotes révélatrices, à propos par exemple d'un concert de B-Love devant le château de Caen, au contact d'un public alors loin d'être conquis. Le but est, à travers quelques lignes sur chaque femme en question, de rendre compte d'un talent, d'un état d'esprit, d'un caractère ou d'une contribution essentielle.
Aux commandes de cet ouvrage, deux personnes : Antoine Dole, un écrivain qui lui apporte sa verve littéraire, et Stéphanie Quinol, alias Sté Strausz, qui lui fait profiter de son savoir et de son statut de rappeuse reconnue. Les deux auteurs, dans la lignée d'un rap français qui a longtemps été influencé par la Universal Zulu Nation d'Afrika Bambaataa (son mot d'ordre, "Peace, Love, Unity & Having Fun", ouvre et clôt le livre), privilégie une approche orthodoxe et globalisante du hip-hop. Ils nous parlent d'un mouvement ouvert, positif et centré en premier lieu sur la production artistique, comme on l'appréhendait à New-York dans les années 80.
Le sujet, en effet, dépasse de très loin le seul rap. Les pionnières Saliha et B. Love, sont bien là, tout autant que Lady Laistee, Princess Aniès, Bams, Sté Strausz elle-même, les têtes d'affiche Diam's et Keny Arkana, et même cette exception dans le paysage français qu'a été la salace Roll-K. Il en manque peu pour la période d'avant 2010, année de parution du livre, à part peut-être Melaaz pour les années 90, et Casey pour la décennie suivante. Mais Fly Girls fait aussi la part belle aux autres disciplines hip-hop. Il le fait même très largement, en parlant aussi de femmes DJ (DJ Pom, DJ Miss MAK, DJ Mela, DJ Lady Style), de danseuses (Ladies Night, Karima, Binto, B-Girl Anne Nguyen), de grapheuses et de tagueuses (Lady Alezia, Kensa, Lenie).
Le livre va même plus loin, rendant grâce, au cours de ses 40 portraits, au rôle joué par des femmes de presse amatrices ou professionnelles (Queen Candy, Valou, Sisata Cheefa, Sheyen Gamboa, Leila Dixmier, Yasmina Benbekaï), des chanteuses de ce genre cousin qu'est le R&B (Destinée, K-Reen, Wallen, AC), des responsables de label (Marie Lorette, Massita), des photographes (Mai Lucas, MsFatBooty), des documentaristes (Keira Maameri), voire Ambre Foulquier, qui ouvrit au rap les Francofolies de La Rochelle, dirigées par son père Jean-Louis.
C'est tout un monde, tout un petit monde, même, auquel rendent hommage les auteurs. Leur livre met en avant des femmes effacées par les hommes, dans la grande épopée du mouvement hip-hop. Concis, très graphique, laissant une large place aux espaces et aux photographies, il ne cherche à nous dire qu'une chose : elles ont existé, et elles ont compté. Mais a posteriori, dix ans après sa publication, ce projet paraît même plus large. Avec son retour aux origines, avec ses mots d'ordre d'une Zulu Nation désormais oubliée, il ressemblerait presque aux adieux nostalgiques à un milieu, à une scène délimitée, qui exista avant que le hip-hop français ne finisse par tout englober, par désigner tout et son contraire.
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