Tyron Frampton veut nous dire ce qui va mal en Grande-Bretagne. Et pour souligner le propos, il a tenu à ce que son album sorte le jour du Brexit, le 29 mars 2019. Depuis, la sortie du royaume de l'UE a été repoussée, et celle de Nothing Great About Britain, le successeur très attendu au EP RUNT, l'a été aussi. Les deux ne coïncideront pas. Mais l'essentiel est là : c'est bel et bien un état des lieux de son pays que nous propose ce rappeur qui, à cause de ses absences et de ses bredouillements, a été baptisé Slow Ty, ou Slowthai.
Cet Anglais d'origine irlandaise et barbadienne a grandi dans les logements sociaux de Northampton, soit à l'écart de tout, dans une ville qui a voté pour quitter l'Europe. La famille même de Slowthai n'a pas traversé que des moments faciles. Sa mère l'a eu alors qu'elle était adolescente, son père les a abandonnés et son frère Michael est mort à un an, infligeant au jeune Tyron son grand traumatisme d'enfance.
Ce passé, il en rend compte sur les titres les plus personnels de Nothing Great About Britain, comme "Gorgeous", et puis surtout "Northampton’s Child", le compte-rendu d'une jeunesse marquée par la pauvreté, la drogue et les trahisons, tout autant qu'un hommage très appuyé à sa mère.
Le rappeur parle de ses états d'âme sur un "Missing" en crescendo, l'un des meilleurs titres de l'album. Mais à travers son cas, il parle aussi de son milieu. Il est question de gens esseulés et de relations sociales au point mort sur "Dead Leaves". Sur "Toaster" il déclare sa défiance envers les autorités, voire envers la société toute entière. Et même les romances mollassonnes que contient l'album, notamment "Crack", sentent les bas-fonds de la société britannique. En fait, Slowthai s'inscrit dans une longue tradition anglaise, celle qui a enfanté Ray Davies, Terry Hall, Damon Albarn et Mike Skinner : celle du commentateur social à l'ironie douce-amère.
Sa nationalité, Slowthai ne la manifeste pas seulement dans ses textes, mais aussi avec ses sons. Ils n'appartiennent pas à la musique anglaise de maintenant, mais à toute la musique anglaise. L'influence du grime est bien là, ne serait-ce que par la présence d'un de ses héros, Skepta, mais aussi dans ces sonorités synthétiques chiches, sèches et rêches qui l'accompagnent, et par des intonations vocales qui rappellent celles de Dizzee Rascal. Quant au single "Inglorious", il évoque la très contemporaine UK drill. Mais les influences de Slowthai vont au-delà, à en croire la vidéo de "Ladies", où on le voit lové nu contre sa compagne Betty, dans la pose adoptée par John Lennon et Yoko Ono quarante années plus tôt.
Surtout, avec ses cheveux ras, son torse nu, ses tatouages et ces guitares agressives comme celle de "Doorman", Slowthai évoque davantage la tradition punk ou skinhead, que celle du rap. On l'entend d'ailleurs citer Sid Vicious sur "Peace Of Mind", et traiter la reine avec le même irrespect, le même fiel et la même voix narquoise que Johnny Rotten autrefois.
Comme ce dernier, Slowthai décrie l'identité britannique, tout en en étant l'incarnation la plus criante, comme il le montre quand il arbore fièrement l'Union Jack. Les paroles de "Nothing Great About Britain", le morceau qui intitule l'album, sont claires. En émaillant ses critiques acerbes de poussées de patriotisme et de références à la culture populaire anglaises (comme quand il cite Phil Mitchell, personnage emblématique de l'interminable série EastEnders, le Plus belle la vie d'Outre-Manche), il en représente les sans-grades, ceux qui, contrairement à lui, ont protesté en voulant quitter l'Europe, et dont néanmoins il se sent proche.
A en croire ses propos, il n'y a donc bel et bien rien de grand en Grande-Bretagne. A part Slowthai lui-même, peut-être.
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