C'est désormais une chose admise : la scène de Detroit nous offre le rap le plus affriolant de cette fin de décennie. En cette année 2019 où il semble pour de bon sur tous les écrans radar, le buzz est venu des ShittyBoyz, avec la sortie cet été de l'album 3-Peat, suivi peu après par un solo de BabyTron, le membre le plus éminent du trio. Si ces trois-là ont su capter l'attention, c'est qu'ils sont apparus comme le groupe manifeste d'un nouveau mouvement, et qu'ils se sont illustrés dans trois dimensions : le son, le thème et l'apparence.
Musicalement parlant, le trio exploite au mieux la musique électronique pleine de vigueur et d'adrénaline typique du rap de Detroit. Jusqu'ici, on pensait celle-ci apparentée à la techno locale, ou qu'elle descendait de l'electro rap d'antan. Mais en vérité, elle s'inspirait de la sœur pop de ce dernier, la freestyle music des années 80. Helluva, le producteur phare de l'endroit, qui a collaboré avec le trio, a récemment craché le morceau : il est épris de ce genre qui a déjà inspiré SOB X RBE, les cousins californiens des rappeurs de Detroit.
Et cette fois, plus personne ne se cache : les morceaux de 3-Peat sont construits sur des samples de tubes de cette musique, comme le "What Will I Do" de Timmy ou le "I Want You" de Shana. L'electro rap a aussi sa place avec le "Planet Rock" d'Afrika Bambaataa. Et ces pillages sont à peine maquillés, comme dans le cas de "Spirit Bomb", qui reprend quasiment tel quel un autre titre de Shana, "Falling Slowly".
Les ShittyBoyz, toutefois, ne se contentent pas de piller ces morceaux. Comme avec ce dernier titre ou "Last Dragon", tous deux irrésistibles, ils les transcendent. Ils en conservent l'énergie, mais ils troquent les gentilles chansons d'amour d'origine pour les raps de délinquants de vigueur à Detroit.
Les jeunes garçons que sont BabyTron, StanWill et TrDee optent toutefois pour un gangstérisme de leur génération, un gangstérisme 2.0. Ils s'inscrivent dans une tendance récente, celle du scam rap, dont le sujet de prédilection, plutôt que le deal de drogue comme chez leurs aînés, est la fraude à la carte bancaire. D'autres à Detroit représentent mieux ce sous-genre, tels Teejayx6 et Kasher Quon. Chez les Shitty Boyz, d'autres préoccupations se devinent, comme celles, typiquement adolescentes, pour les filles et les jeux vidéo. Mais à bien des égards, ils sont supérieurs à leurs confrères.
Indépendamment du thème, ces garçons jouent habilement de raps délivrés off-beat et à toute allure, et prompts à la punchline mémorable. Toutefois, l'un d'eux se détache : BabyTron. Et pour ne rien gâcher, il se distingue aussi par son look, assez inhabituel pour un rappeur. Contrairement aux deux autres, ce garçon maigrichon qui entretient le mystère sur ses origines ethniques, a un visage pâle, agrémenté d'une coupe à la Beatles et d'un délicat duvet juvénile au-dessus de la lèvre. Par la volubilité de ses raps, par ses traits distinctifs extra-musicaux, il est l'arme décisive des ShittyBoyz, celui qui fait que la musique du trio fonctionne et qu'elle mérite tous les égards, même si, visiblement, elle est une recette.
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