Bénéficiant des honneurs de la critique rap depuis l'album Perdants Magnifiques, mais actif depuis plus longtemps encore, Sameer Ahmad fait du bon travail. Plus discret que beaucoup de rappeurs, il est, bien plus que la plupart, une valeur sûre. Cependant sur son dernier projet, sorti à la mi-année, le garçon de Montpellier a mis les bouchées doubles.

SAMEER AHMAD - Apaches

D'une durée courte, condensé, Apaches a tout d'abord profité d'un nombre appréciable de renforts. Parmi ceux qui ont concouru à la création de ce bel objet, figurent ces vieilles connaissances que sont les illustrateurs Lasse Russe et Hector de la Vallée, presque autant de producteurs que de morceaux, ainsi que les rappeurs LK de l'Hôtel Moscou et Nakk Mendosa. Mais que l'on ne s'y trompe pas. Cet album, c'est d'abord et avant tout la chose de Sameer Ahmad.

Avec Apaches, il excelle à son style de rap, un rap qui évoque plutôt qu'il ne raconte, jouant en permanence d'analogies, d'assonances, d'associations d'idées. C'est un immense jeu de piste, un voyage à travers une myriade de références personnelles, où se devine autant l'homme instruit qu'est l'auteur (il est professeur à la ville), que l'adepte de pop culture.

Sameer Ahmad multiplie les allusions aux héros du hip-hop (Kool Herc, Tupac, Biggie, Wu-Tang Clan, Suge Knight, Andre 3000...) et de l'univers afro-américain, tels Malcolm X ou Iceberg Slim. Il cite Serge Gainsbourg à deux reprises, il se réfère plusieurs fois à la Bible (les premiers mots de La Genèse, le Livre d'Ézéchiel, la Cène, la crucifixion...) et bien sûr, il partage sa grande passion, le cinéma : outre les prévisibles Scarface et Le parrain, sont évoqués ici Apocalypse Now, L'odeur de la papaye verte, Rocky, La planète des singes, Il était une fois dans l'ouest, Il était une fois le Bronx...

Ce disque est si touffu, il est si riche en tiroirs et en double-sens, qu'il est de ceux qui se redécouvrent à chaque écoute.

Derrière le thème western, souligné ici par un extrait de Little Big Man, là par des chants indiens (sur "Sitting Bull", et sur "Safar" par des sons qui sonnent comme tels, ceux qui ouvraient autrefois le "Cannonball" des Breeders), c'est la biographie du rappeur qui affleure, celle du fils d'Irak qui a fui le régime de Saddam Hussein pour s'établir en France.

Derrière l'Apache, c'est l'Arabe qui se cache, à travers ses allusions au Moyen-Orient et la pochette du single "Sitting Bull", une photo de son père après une séance de torture. C'est celui qui s'est établi dans le beau pays de Jacques Mesrine, comme il l'appelle, et qui y est devenu fasciné par l'Amérique, que l'on entend sur "Southside" établir un parallèle entre le Dirty South d'Outkast et ses bases montpelliéraines, et évoquer son statut de marginal du rap français.

Tout cela pourrait n'être qu'une virée égotiste dans l'univers personnel du rappeur. Mais comme pour rendre ce dernier plus avenant, la production se montre de haut niveau. Elle est faite d'une musique œcuménique et sans âge, qui sait mêler samples à l'ancienne et rythmes trap, et qui prend parfois tout son temps pour se déployer, à l'occasion de longues introductions ou conclusions instrumentales. Elle est astucieuse, comme dans le cas de ce "Papa Legba" qui recycle intelligemment le violon de John Cale sur "Venus In Furs".

Et malgré la pluralité des producteurs, sa qualité est constante, même si quelques temps forts se distinguent, comme "Sitting Bull", "C.A.B", "Logos", et le très beau finale de "H2O". A l'issue de l'écoute de Apaches, il n'y a donc plus de doute : Sameer Ahmad nous a délivré sa grande œuvre.

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