En 2017, Sada Baby aurait pu sortir l'album de l'année, mais il a réparti ses meilleurs titres sur deux projets distincts. Au lieu d'une œuvre parfaite, ce sont donc deux mixtapes mémorables qu'il aura livrées : Skuba Sada, dont il a déjà été question sur ces pages, et la suivante, D.O.N. - Dat One Nigga. Comme la précédente, celle-ci révélait l'incroyable volubilité et la plasticité du garçon. A la façon des mouvements de danses étranges auxquelles il aime s'adonner, le rappeur partageait son goût pour les contorsions verbales. Dans un style de rap régional certes excellent mais parfois générique, celui de Detroit, le rappeur barbu faisait preuve d'une créativité et d'une diversité de folie. Et sur cet autre projet, il démontrait mieux encore l'étendue de son répertoire. Car en fait, il y a deux Sada Baby sur D.O.N. - Dat One Nigga.
Sur les dix premières pistes, le rappeur est Skuba Steve, l'énergumène allumé et survolté qu'avaient révélé les moments les plus puissants de Skuba Sada. Entre deux cris et trois grognements, modifiant sans prévenir son ton ou sa voix, il donne dans un rap de rue bravache et menaçant, imprégné à l'occasion de références au basketball (l'une de ses marottes), et censé nous plonger dans l'atmosphère noire de Eastside Detroit. Le rappeur fait de la montagne russe, il navigue entre des titres lourds et ombrageux comme "21 Skuba" et "Death Row", et des passages plus agités comme "Timeline Tough Guys", le tendu "Big Squad" et le très bon "In Jig’s Voice", sans oublier le haletant "Detroit Red". Et parfois, il opère tout cela sur un seul et même morceau, comme avec le crescendo du prodigieux "First Sunday".
Mais à la fin, sur les sept derniers titres, Sada Baby se transforme en Skuba Ruffin, une version actualisée de David Ruffin, le chanteur des Temptations. Là, il s'apaise et il se change en crooner, allant jusqu'à délaisser le rap. Sous l'influence de sa cousine et collaboratrice régulière Ashley Sorrell, il se serait souvenu qu'enfant, il avait l'habitude de pousser la chansonnette à l'église. Passé le dispensable "Shabooya", où il se livre au jeu du "shabooya roll call" popularisé par le Get on the Bus de Spike Lee, il se fend donc de quelques chants. Dans cette partie plus suave, Sada Baby le délinquant fier et violent n'a pas disparu. Il est à l'oeuvre sur "Skuba Sauce", sur l'atmosphérique "Permanent Gang Kings" et sur le marquant "Ghetto Champagne". Mais il partage aussi ses peines de cœur sur le très bon "Heart Auction" ; des peines de cœur dont les drogues, omniprésentes jusqu'au conclusif "Percosex", semblent être le seul remède.
Rien de neuf avec cette formule, rien d'inédit dans ce rap de bandit rempli de vague à l'âme, serait-on tenté d'avancer. Mais ça, c'est sans compter sur les acrobaties verbales de Sada Baby, c'est méconnaître son rap intense. C'est ne pas avoir réalisé qu'en dépit de ses deux sorties imparfaites, ou plutôt grâce à elles, Casada Sorrell aura été le rappeur du moment en 2017.