Pour ceux qui, en 2017, ont découvert Skuba Sada et Dat One Nigga, il n'y a pas eu l'ombre d'un doute : le prochain Sada Baby serait l'album rap le plus attendu de 2018. A une époque dont on se souviendra comme l'âge d'or de la scène de Detroit, le barbu furieux que Tee Grizzley a pris sous son aile a apporté ce qu'il manquait au rap local : une voix furieuse, un style débordant de folie, une euphorie si difficile à contenir qu'elle s'est traduite, dans ses vidéos, par d'étranges danses démantibulées. Puis ensuite le single "Bloxk Party", sa collaboration avec Drego, n'a fait que décupler l'attente.
Il aura fallu prendre son mal en patience, car ça n'est finalement qu'en 2019 qu'est sorti Bartier Bounty. Cependant, cela n'est pas bien grave : car pour l'essentiel, il déçoit peu.
Cette sortie a pourtant la particularité, pas toujours avantageuse, des albums destinés à couronner leurs auteurs au moment où ils entrent dans le giron d'une major (Asylum en l'occurrence, dans son cas). Même si l'aspect général de Bartier Bounty est celui d'une mixtape, approximations sonores incluses, il arrondit les angles, il polit certaines rugosités.
Casada Sorrell (le vrai nom de Sada Baby), par exemple, chante de temps en temps. Sa cousine et collaboratrice Ashley, présente ici sur "Bonnie & Blyde" (et aperçue sur Book Of Ryan, le dernier Royce de 5'9'') lui aurait donné cette envie d'exercer sa voix, et il s'y adonne sur "Edmore" et "Auntie Melody", étendant un registre vocal déjà large et versatile.
Le titre rend hommage à Detroit. Cartier County, en effet, ce sont les bases du rappeur, ce sont ces quartiers peuplés de petites frappes éprises des lunettes de la marque en question. La musique, pourtant, n'est pas si locale. Malgré la présence épisodique de Helluva, le producteur phare de sa ville, elle est parfois plus proche de la tradition trap music que du style local. Sada Baby, qui confesse avoir Gucci Mane et Future pour modèles absolus, s'ouvre sur Atlanta, comme le prouve la présence de Hoodrich Pablo Juan.
Toutefois, à part cette intervention extérieure et celles, très logiques, de Drego et d'Ashley Sorrell, Sada Baby s'exprime seul. Et il fait en sorte que l'essentiel soit là : les morceaux intenses et énergiques ponctués de ces "huhh" qui sont sa marque de fabrique, les décharges d'agressivité comme "Skuba Says" et "Dumbass", qui passent en crescendo de marmonnements inquiétants à des admonestations furieuses, comme dans ce cas d'école qu'est "Unkle Drew".
Les thèmes sont ceux d'un gangsta rap rabâché (le titre du projet et les paroles de plusieurs titres laissent entendre que Sada Baby est affilié aux Bloods), mais ces références à l'argent, au sexe, aux armes et à la drogue, ou ses fréquentes attaques envers ses adversaires comme sur "Horseplay", se télescopent de manière anarchique et inédite, mêlées de références à des joueurs de basket, l'autre marotte du rappeur.
Sada Baby ne délivre certes pas vingt "Bloxk Party" sur Bartier Bounty, il ne magnifie pas la formule qui l'a fait connaître en 2017, il ne la sublime pas. Mais au moins, il la prolonge un peu, ce qui demeure conforme à nos attentes.
Fil des commentaires