C'est en prison qu'est né le Polo G que l'on connaît aujourd'hui. Avant son incarcération, Taurus Bartlett, en bon apprenti rappeur de Chicago, s'adonnait à une drill music générique. Mais en 2018, entre quatre murs, il choisit d'infléchir son style avec "Finer Things", un titre chantonné sur les notes d'un piano mélancolique, où il partage sans trop y croire ses rêves d'une vie meilleure. Sortie un peu plus tard, sa vidéo est visionnée des millions de fois sur Youtube. Puis c'est au tour de "Pop Out", un single enregistré avec le New-Yorkais Lil Tjay, de connaître le succès, de manière plus éclatante encore, permettant à Polo G de rejoindre Columbia et de devenir à vingt ans le nouvel espoir du rap de Chicago.
Die A Legend exploite cette formule. Ici, Polo G s’accapare la drill chantée de Lil Durk. Cependant, il lui fait subir une nouvelle mutation, en la rendant plus propre, plus pop.
Les percussions, les vers entêtants, les paroles circonscrites au thème de la jungle urbaine sont toujours là, comme sur le très noir "A King’s Nightmare". Entonné d'une façon plus agressive, un titre comme "Dying Breed" pourrait être un pur morceau de drill music, avec sa scansion répétitive, et son portrait d'une jeunesse condamnée au crime, à la drogue et à la mort. L'ambiance est paranoïaque, la trahison au coin de la rue, comme le décrit "Last Strike". Mais au lieu de sons criards, Polo G emploie des pianos tristes, beaucoup, ou des instruments du même acabit comme la guitare acoustique de "Chosen 1". Et il use en fredonnant d'une voix résignée.
Tout cela, plutôt que de dénaturer ce genre musical, met en valeur un de ses traits latents. Parce qu'il en ôte l'orgueil et le triomphalisme, il montre le désespoir qui se cachait derrière le nihilisme. Sur le très bon "Through Da Storm", par exemple, on entend les fanfaronnades habituelles sur l'argent amassé illégalement, mais le ton abattu du rappeur semble dire tout le contraire, de même que le refrain, qui parle des pleurs de sa mère et d'une petite sœur qu'il n'entend plus qu'à travers le téléphone de la prison. Sur "Effortless", un autre grand titre émouvant de l'album, son portrait de quartiers où les balles sifflent autour des enfants, n'est pas des plus avenants. Et plusieurs fois, sur "Battle Cry" tout comme sur "Finer Things", "Chosen 1" et "Deep Wounds", il parle de noyer sa détresse dans la consommation d'ecstasy.
Même quand Polo G parle de son ascension sur "Picture This" et qu'il compare son statut actuel à son passé difficile, il paraît dépressif. Le titre de l'album, en fait, est trompeur. Il ne parle pas de course vers le succès. Il est au contraire un dépit, un désenchantement, une certitude que la mort est au coin de la rue, et que c'est après que la reconnaissance arrivera. C'est ce que dit le refrain de "BST", un morceau au détour duquel le rappeur confie avoir un enfant en route :
For my family, gotta build a legacy
I'ma be the man when I'm dead
Pour ma famille, je dois bâtir une postérité
Je serai leur homme après ma mort"
Cet album, c'est bel et bien Die A Legend, et non Get Rich Or Die Tryin'. Cependant, compte-tenu de l'accueil qu'il reçoit aujourd'hui, Polo G devrait être capable de consolider sa légende bien avant que n'arrive l'échéance fatidique.
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