Cela fait un moment déjà que Moneybagg Yo roule sa bosse à Memphis, ses premiers enregistrements remontant à 2012. Mais les trois dernières années, les choses se sont accélérées. Le rappeur est passé du statut de célébrité locale à celui de notoriété nationale. Tout remonte à All Gas No Breaks, une mixtape de 2016 qui a attiré l'attention du rappeur le plus éminent de la ville, Yo Gotti. S'en est suivi un projet commun, 2Federal, à la fin de la même année, puis en 2017 un album à succès chez Interscope, Federal 3X, une collaboration avec NBA YoungBoy, Fed Baby's, et des apparitions diverses et variées, ici dans une vidéo commune de BlocBoy JB et de Drake, là sur la mixtape Too Hard de Lil Baby. Sorti début 2018, avant deux autres projets encore (Bet on Me et Reset), 2 Heartless continuait sur cette lancée. Il capitalisait sur la riche année que venait de passer Moneybagg Yo, se présentant comme une suite à Heartless, sa première sortie remarquée de 2017. Il offrait aussi au rappeur une couverture médiatique inédite. A raison. Car si elle n'est sa grande œuvre, 2 Heartless a des arguments.
La voix du rappeur y est un peu monotone, les tubes en sont presque absents. Cependant, même s'il aime se dépeindre en Michael Myers ("Moneybagg Myers"), même si ses titres sont rudes, froids, agressifs et fiers ("Thoughts"), voire revanchards ("Back Then") et franchement misogynes ("Black Feet", "Break Da Internet", "Perfect Bitch"), ce grand garçon de 26 ans père de sept enfants (de quatre mères différentes) qu'est Demario White semble exprimer déjà des regrets sur le cours de sa vie. Et apporter ainsi à sa musique un petit supplément d'âme.
On y trouve en effet quelques morceaux pleins d'amertume et sujets aux jolis refrains chantonnés ("Ask For"), pas très éloignés de ceux d'un Kevin Gates (présenté d'ailleurs comme un mentor dès la première plage, "Black Heart"). Les désaccords, les désamours, les trahisons, sont un thème central sur ce projet intitulé "sans cœur". C'est le cas avec l'hostile single "Bigg Facts", une histoire d'embrouilles, avec "Fed Baby's", une lamentation à propos d'une amitié perdue (probablement celle avec NBA YoungBoy, le titre étant aussi celui de leur mixtape commune), et avec le très beau "Walker Holmes", où il est encore question de relation gâchée.
Sur "Scars", Moneybagg Yo exhibe ses blessures en chantonnant sur la flûte de Zaytoven. Sur "Ion Get You", il traite d'amours compliquées. Sur "Secrets", sur le mode de la confession, il parle d'une compagne qui l'a trompé avec un ami. Sur "FWM", avec Lil Baby, il énumère tous les malheurs de sa vie. Rien de cela ne renouvelle le registre archi-usé, ces dernières années, du gangster avec du vague à l'âme. Mais il y ajoute une pièce qu'il serait regrettable de négliger.