Aujourd'hui, Motown aime le rap. C'est chez ce label, le plus vénérable de toute la Black Music, qu'on retrouve Migos et Lil Yachty. Plus généralement, son association avec Quality Control Music lui permet désormais d'être plus ou moins à la pointe de qui se fait au Sud. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. A l'origine, la vieille garde de la musique afro-américaine dans son ensemble avait regardé avec incompréhension, voire hostilité, l'apparition de ce nouveau genre, laissant à de petits labels spécialisés comme Sugar Hill, Profile, Tommy Boy et Def Jam le soin de sortir ses premiers grands disques. Mais avec le succès du rap à la fin des années 80, l'illustre maison avait bien dû s'y mettre, avec des gens tels que le producteur et rappeur Jesse West, alias 3rd Eye, ou un peu plus tard M.C. Brains, connu pour son titre "Oochie Coochie".
LaTasha Rogers, alias MC Trouble, fut quant à elle la première rappeuse à rejoindre Motown. Avec cette native de Los Angeles, le label avait fait un bon choix, puisque son single "(I Wanna) Make You Mine" remporta un certain succès, préparant le terrain à l'album à venir. Dès ce titre, la présence de la jeune femme chez Motown faisait sens. Il s'agissait en effet de la bête déclaration d'amour à un homme idéal, avec The Good Girls au refrain, un trio souvent présenté comme une version des Supremes mise au goût du jour. L'ensemble de l'album, Gotta Get A Grip, recelait lui aussi des chansons ancrés dans la variété afro-américaine. Il était rempli d'un groove funky un peu vieillot et de voix chantées, les thèmes centraux étaient l'amour et les hommes, et la rappeuse passait parfois au chant, comme sur "Thing For You".
Cependant, Gotta Get A Grip demeurait un disque de rap. MC Trouble y rappait avec hargne et avec assurance,. Elle pratiquait l'égo-trip et le style battle sur "Here Comes Trouble" et "Points Proven". Elle chauffait les salles sur l'un des morceaux bonus que comptait l'édition CD, "Is It Live". Elle se montrait politique, vindicative et pro-Black sur "Black Line" ainsi que sur le titre éponyme, "Gotta Get A Grip", sur une musique sèche et remplie de scratches furieux. Même sur la romance "(I Wanna) Make You Mine", MC Trouble déclarait sur quelques lignes qu'elle n'était pas une gentille. Et quand elle décrivait ses types d'hommes sur "Fly Guy", elle le faisait sur le mode de l'humour et de l'insolence, en vantant par exemple leurs gros postérieurs.
Cette rappeuse avait du potentiel. Et elle avait aussi des fans, comme allaient l'indiquer bientôt les hommages de ses pairs : celui de Q-Tip à la fin de "Vibes and Stuff", un morceau du classique d'A Tribe Called Quest The Low End Theory, et celui plus appuyée encore de Nefertiti sur "Trouble In Paradise". Toutefois, comme l'indiquaient ces morceaux marqués par le deuil, il n'y eut pas de suite à la carrière de MC Trouble. La jeune femme, qui souffrait depuis toujours d'épilepsie, fut emportée par une attaque en 1991, à 20 ans, alors qu'elle travaillait sur son second album. Et bien que l'on célèbre souvent les rappeurs morts, son nom à elle, hormis chez les amateurs les plus avertis, s'effaça quelque peu de la mémoire du hip-hop.
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