Simbiatu Ajikawo a commencé sa carrière dans la comédie. La Londonienne d'origine nigériane s'est d'abord illustrée en tant qu'actrice, en jouant dans des séries télé destinées aux jeunes, Spirit Warriors et Youngers. Mais la musique n'a jamais été bien loin. Le second programme, en effet, nous parlait d'adolescents désireux de réussir dans les musiques urbaines. Et en parallèle, la jeune Simbi rappait, sous le nom de Little Simz. A partir de 2010, elle a sorti plusieurs mixtapes, dont une, Black Canvas, a été relayée par Life+Times, le site Web de Jay-Z. Et plus tard a suivi un album en bonne et due forme, A Curious Tale of Trials + Persons, qui a récolté les éloges de sommités aussi variées que Kendrick Lamar, J. Cole et Gilles Peterson.
Cette bienveillance a plusieurs raisons. D'abord, Little Simz démontre ici qu'elle sait rapper. De sa voix basse, elle s'exprime avec technique, et à une vitesse parfois saisissante. Ensuite, et surtout, son rap ne ressemble à aucun autre : ni tout à fait au grime en vigueur en Angleterre, ni vraiment au hip-hop américain. Afin de préserver sa liberté artistique, la Britannique n'a pas joué le jeu des singles et elle a sorti son album en indépendant. Ou plus précisément, elle l'a fait à l'écart de l'industrie du disque, la marque Red Bull, soucieuse d'entretenir une image cool et jeune en jouant les mécènes, en ayant tout de même financé l'enregistrement et la diffusion.
Cette indépendance s'entend. Dans les sons, tout d'abord, l'album révélant tout un spectre d'influences, du rock rageur de "Persons", au R&B et aux ambiances suaves de "Wings" et de "The Lights", du gothique technoïde de "Dead Body" et de la néo-soul de "God Bless Mary", à une contribution de The Hics et de leur indie pop électronique sur "Gratitude". A Curious Tale of Trials + Persons propose aussi des morceaux imprévisibles, par exemple une fausse conclusion dénuée de paroles ("This is Not an Outro"). Ses titres sont prompts aux changements de rythmes et aux alliances entre beats synthétiques et vrais instruments, ici une guitare ("Wings", "Gratitude", "Full or Empty"), là un violoncelle ("The Lights", "Tainted").
La volonté d'indépendance de Little Simz se manifeste aussi dans les paroles. Pour l'essentiel, elles sont une réflexion sur l'art et la célébrité dont le message, exprimé dès "Wings", est de prendre son envol, de construire sa propre réalité, sans se soucier du qu’en-dira-t-on et des impératifs de l'industrie. "The Lights", en contrepoint, nous parle des pièges de la notoriété, de ces sirènes qui ne conduisent qu'au renoncement. "Dead Body" compare l'artiste qui a vendu son âme à un homme mort. Et sur "Tainted", Little Simz incarne quelques instants celle qu'elle ne voudrait pas être : une artiste superficielle, motivée par l'argent plutôt que par la passion de ses fans. Son désir d'autonomie s'exprime jusque dans ses relations amoureuses, sur "Fallen". Cependant, elle n'est pas insensible aux autres, comme le montre cet étonnant "God Bless Mary", où elle s'excuse auprès d'une voisine du bruit causé par l'élaboration de l'album.
Little Simz veut être sa propre créature, comme elle le confirme encore sur le titre le plus épique de son album, "Full or Empty". En conséquence, elle est animée par une farouche hostilité aux classifications de tous genres. Tel est le propos tenu sur l'introductif "Persons". La jeune Simbi y réclame le droit de devenir un "king". Un roi, donc, pas une reine. Un grand rappeur, indépendamment de son origine, de son pays et de son sexe. A en juger par l'accueil favorable reçu par A Curious Tale of Trials + Persons, et en dépit de son rap moral et rempli de bons sentiments (ou plutôt grâce à lui), elle s'est engagée sur la bonne voie pour y parvenir.
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