Raqhid Render vient de Cleveland Avenue, la rue où a grandi Young Thug. Aussi celui qui se fera bientôt appeler Lil Keed a-t-il marché sur les pas de son aîné quand, sonné par la mort de son ami Rudy, il s'est mis à prendre le rap au sérieux. Naturellement, ce voisin a été le modèle à suivre.
Ce jeune homme né en 1998 l'a lui-même confié : pour lui, T.I., c'est de la préhistoire, c'est de la musique de vieux. Sa définition du rap, sa vision de la trap music, il l'a acquise à travers Thugger. C'est ce qu'a démontré "Blicky Blicky", le morceau qui l'a fait connaître dans les clubs, puis ses mixtapes Trapped On Cleveland 2 et Keed Talk To 'Em. Et au terme de tout cela, ce qui devait arriver est arrivé : Young Thug lui-même s'est amouraché de son disciple, et il lui a offert une place sur son label, Young Stoner Life Records.
Sorti en juin, ce Long Live Mexico riche en collaborateurs (de Lil Uzi Vert à YNW Melly, en passant par son propre frère Lil Gotit) est le premier album de Lil Keed. Et il est le résultat de cette association entre les deux hommes de Cleveland Avenue. Le mimétisme est flagrant. Sur les flûtes et les mélodies évaporées qui caractérisent la trap tardive, Lil Keed se livre aux mêmes acrobaties verbales et à la même folie maîtrisée que le Young Thug de l'après Barter 6. Le seul trait distinctif est, pour le nouveau-venu, un timbre plus systématiquement haut-perché que celui de son mentor.
Au-delà de sa propre personne, c'est toute une école qui se manifeste sur cet album, puisque Lil Keed côtoie un autre élève de Young Thug, Gunna, sa compagne Karlae, et qu'il est soutenu par son mentor sur Million Dollar Mansion et Proud Of Me. Niveau paroles aussi la similitude est confondante. Lil Keed singe Young Thug, il le cite même, détournant sur "Child" quelques mots de l'emblématique "Check".
Contrairement à ce que laisse penser son titre et sa pochette, il ne s'agit pas d'un album engagé en faveur d'un pays récemment malmené par le président américain. Mexico est en fait un proche de Lil Keed décédé plus tôt cette année, au moment où le rappeur était en tournée avec Trippie Redd.
Ici, l'intéressé ne tient pas un discours articulé. Loin de là, il divague. Il rappe en roue libre et s'exprime par association d'idées. Ses chansons sont des odes à la réussite matérielle et sexuelle, qui citent à foison les marques de luxe. Ce sont des rengaines sur la drogue, sur des filles sous drogue, sur des vies de rock stars sous drogue, rappées par un individu qui, lui-même, semble sous l'emprise de substances illicites.
L'ennui s'installe parfois, la faute à cette déclinaison toute mollassonne de la trap music qui domine et qui mine désormais la scène d'Atlanta. La lassitude menace. Mais parfois, c'est digne du maître. Dans ses moments les plus habités, comme "Anybody" avec Gunna et Lil Duke, "Rockstar" avec NAV, la chanson d'amour et de sexe "Ride Wit You", "Snake" et sa guitare country, ainsi que ce finale plus relevé qu'est le duo "Proud Of Me", Lil Keed se hisse à sa hauteur.
Si l'importance d'un artiste s'estime par le nombre de ses disciples, alors celle de Young Thug est acquise. Si sa supériorité s'évalue par la qualité de ces suiveurs, alors, à écouter ce Lil Keed, celle de Thugger est pour toujours indéniable.
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