Si Roc Marciano a brillé en 2018, ce n'est pas seulement à cause de sa productivité personnelle et de la qualité de ses sorties, toutes deux exceptionnelles. C'est aussi par celles de ses proches. Cela est manifeste en ce qui concerne Knowledge the Pirate, un rappeur dont le nom nous est familier à force de le voir figurer sur toutes les sorties de Marci depuis Reloaded, en 2012, mais dont on ne connaissait pas encore de sortie propre. Depuis quelques mois, celle-ci existe enfin, sous la forme d'un album intitulé Flinlock, qui file la métaphore du flibustier (ce titre est le nom de leur pistolet emblématique), et dont l'ancien du Flipmode Squad, à égalité avec Elemnt et Mushroom Jesus, a assuré une partie substantielle de la production.
Knowledge the Pirate, donc, est un proche de Roc Marciano. Et cela s'entend. La recette est, grosso modo, la même. Sa base est faite de boucles et de samples (des bouts de voix sur "Eyes", "I Knew", "Long Gaze" et "Ma-At Pray", d'orgue sur "Wrinkled Feathers" et "None Left Standing", du piano et violon sur "Beers, Bullets & Bloodshed", de fréquents éclats de guitare…), le plus souvent très sobres, et parfois dotés d'apparats soul ("Born Pimp"). Et les raps, partagés entre hargne et résignation, se posent sur ces sons de manière intelligible, précise et appuyée, à la manière d'une menace rentrée, avec une violence d'autant plus saisissante qu'elle est retenue. C'est une musique sans compromis, doublée d'une attitude dénuée elle aussi de toute concession. Knowledge, en effet, a opté pour la voie de l'indépendance, son album ayant été disponible pendant un mois sur son site Web, avant qu'il n'ait laissé à d'autres le son de le distribuer, une pratique déjà employée par son compère.
Le son et l'approche ne sont cependant pas les seuls points communs entre Knowledge the Pirate et Roc Marciano. L'auteur de Flintlock est aussi, tout comme l'autre, un vieux loup de mer du rap. Cet album a beau être son premier, il avait d'abord été repéré, il y a fort longtemps, par Charlie Mack, le garde du corps de Will Smith. Un peu plus tard, il allait même ghostwriter certains textes de la star. Mieux encore : identifié par Teddy Riley au moment où il pouvait espérer une carrière sur major, il avait rencontré grâce à lui Pharrell Williams et Chad Hugo, ce qui lui avait valu, comme il s'en vantera bien plus tard sur Twitter, d'être le premier rappeur gangsta (sous-entendu avant Clipse) à avoir rappé sur des sons des Neptunes.
Car gangsta, Knowledge l'est, assurément. Il nous parle d'argent, de stupéfiants, d'armes, de violence, de défiance, d'amour physique et de règlements de compte. Il partage le vécu d'un délinquant, mais comme on le faisait dans le New-York des années 90, avec un arrière-plan social, en expliquant être le produit de son environnement, en nous précisant, sur "Roots of a Thug", que les vrais coupables sont ailleurs. "Yeah, we sell the drugs, but they’re the ones who put 'em in the streets" (ouais, nous vendons de la drogue, mais c'est eux qui la mettent dans la rue), dit-il ainsi sur ce splendide titre introductif. Et sur d'autres pépites comme "Headshots", "Toast", l'excellent "Swashbuckling" et ce duo avec Roc Marciano qu'est "Cant Get Enough", il dévoile une autre facette de ce rap de vieux corsaires qui rénovent les formules du passé, de ce hip-hop de boucaniers qui, de longues années après, font tonner le canon comme jamais.
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