Telle est la configuration actuelle du paysage rap américain. D'un côté, une multitude de scènes régionales dont les acteurs vivent dans l'instant et déploient de manière plus ou moins générique leur propre sous-genre de rap de rue. De l'autre, des artistes à rayonnement national qui gagnent la considération de la critique par une posture plus intellectuelle et plus artistique, par un discours plus conscient du lourd héritage afro-américain dans lequel ils s'inscrivent, par une volonté constante de renouveler les formes et par une ouverture plus large à d'autres genres musicaux que le leur. Dans cette catégorie vaste, née sans doute du succès de Kanye, s'ébrouent aujourd'hui de grosses têtes d'affiche comme Kendrick Lamar, Tyler, the Creator et une poignée d'autres.
A Washington (ou plus largement toute l'aire urbaine appelée DMV), on retrouve ces deux catégories. A la première, appartiennent des figures comme Fat Trel et Shy Glizzy ou, pour citer des gens plus récents, Goonew, Lil Dude et leur producteur Cheecho. Et dans l'autre, depuis sa mixtape The God Complex en 2014 et sa collaboration avec Rick Rubin l'année d'après, s'illustre D'Anthony Carlos, alias GoldLink.
Celui-ci n'a certes pas oublié d'où il venait. Il y a deux ans son premier album officiel, At What Cost, était un hommage à sa ville et à son passé musical. Mais ce projet, produit en partie par Kaytranada, se voulait original et aventureux. Et son successeur avance plus loin encore dans cette direction, s'éloignant de la capitale US pour célébrer les multiples formes prises à travers le monde par les musiques noires.
Diaspora n'est qu'en partie un album de rap. Quelques-uns de ses grands noms prêtent main forte à GoldLink, comme Pusha T sur un "Coke White" dans son registre cocaine rap habituel, et Tyler, The Creator, sur "U Say". Mais les autres invités viennent d'Afrique, comme Wizkid, star nigériane de l'afrobeat, sur "No Lie", ou d'une Angleterre aux fortes connexions africaines, comme Maleek Shoyebi, Halie du groupe afrowing WSTRN et Jay Prince. Et s'il n'est pas noir, Jackson Wang, le rappeur chinois du boys band coréen Got7, qui contribue à "Rumble", ne représente pas moins la dispersion géographique de la musique afro-américaine.
Cette ouverture sur le monde se traduit dans les sons. "Joke Ting", par exemple, a un rythme chaloupé qui évoque (tout comme son titre) la Jamaïque. "Yard" a une mélodie dancehall, qui rappelle la même île caribéenne. "U Say" a de faux airs de bossa-nova. Sur "Zulu Screams", avec l'Anglo-Nigérian Maleek Shoyebi, c'est même tout le continent noir qui est évoqué : le titre parle d'un peuple d'Afrique du Sud, la musique évoque celle de l'Ouest, et quelques mots sont délivrés par Bibi Bourelly en lingala, une langue du Congo.
Diaspora, toutefois, est bien plus qu'un projet panafricaniste. L'homme de Washington ne fait ni de l'histoire, ni de la géopolitique. C'est surtout de lui-même qu'il nous parle, de la jeune mère de son fils sur "Spanish Song", de ses relations amoureuses ou, sur "Tiff Freestyle", de l'altercation qui l'a opposé à la bande à Sheck Wes au sujet de sa compagne Justine Skye (celle même qui orne la pochette de l'album).
C'est donc bel et bien du rap adulte que nous offre le rappeur de Washington, avec ce que cela implique d'ennui, mais avec des réussites, notamment sur la première moitié de Diaspora. C'est dès le début, en effet, que se dévoilent ces titres accrocheurs que sont le déjà cité "Joke Ting", où GoldLink nous parle de la rançon du succès, ainsi que "Maniac" et le très joli duo avec le chanteur Khalid, "Days Like This", deux moments où il revient sur sa jeunesse tumultueuse.
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