Les Funky 4+1 fut l'un des grands groupes pionniers de l'épopée hip-hop. Ils furent les premiers rappeurs à signer un contrat avec une maison de disque, enregistrant pour Enjoy avant de rejoindre Sugarhill Records, tout comme Grandmaster Flash. Avec sa durée de plus de 15 minutes (plus encore que "Rapper's Delight"), leur premier single, "Rappin and Rocking the House" demeura longtemps le titre de rap le plus long. Et puis surtout, à la Saint Valentin 1981, en participant au Saturday Night Live à l'instigation de Debbie Harry, ces cinq adolescents du Bronx furent les premiers à porter le rap sur les écrans de la télévision nationale américaine.
Ce jour-là, cependant, un membre du groupe aurait pu gâcher cette prestation. Alors âgée de 19 ans, Sha Rock souffrait de vilaines nausées, en raison de sa grossesse. Le dernier caractère pionnier des Funky 4+1, en effet, est d'avoir compté une femme en ses rangs, en plus des rappeurs Keith Keith, K.K. Rockwell et Rahiem (une fois parti chez les Furious Five, ce dernier fut remplacé par Lil’ Rodney C et par un Jazzy Jeff sans rapport avec le DJ de Will Smith). Sharon Green, de son vrai nom, n'allait pas mettre en avant sa féminité. Elle s'exprimait sur le même plan que les garçons, et usait peu ou prou du même temps de parole. Le "plus one", en vérité, n'était pas destiné à souligner son genre : il avait été adopté quand, après avoir quitté le groupe, elle y était revenue. Sha Rock n'en fut pas moins la première dame marquante du rap.
Au-delà de toutes ces premières fois, la grande contribution de son groupe à l'histoire du hip-hop fut "That's the Joint", un morceau sorti en 1980, considéré aujourd'hui comme l'un des plus grands du rap des premiers temps, et comme l'un des plus remarquables de la décennie, tous genres confondus. Logiquement, c'est donc ce titre qui fut choisi vingt ans plus tard pour nommer une compilation qui suppléait à l'absence d'album. Les Funky 4+1, effectivement, n'eurent jamais le loisir d'en sortir. Le groupe se sépara en 1983, bien avant que le rap ne triomphe, et ses membres se dispersèrent dans divers projets : les US Girls pour Sha Rock (un trio avec Lisa Lee et Debbie Dee), Double Trouble pour Lil' Rodney Cee et K.K. Rockwell, et une carrière solo pour Jazzy Jeff, le seul à connaître un relatif succès avec "King Heroin", en 1985.
That's the Joint, le disque sorti en 2000, se contente donc de compiler les singles sortis par le groupe sur ses quatre années d'existence discographique. Tous sont conformes à la formule Sugarhill Records : ce sont de longs morceaux rap ludiques et festifs dont le but principal est de s'autocélébrer et de faire remuer les jambes, et ils sont accompagnés de "vrais" musiciens, qui rejouent des morceaux funk ou disco. "That's the Joint", par exemple, s'inspire du "Rescue Me" d'A Taste of Honey, il le sublime même franchement, tandis que "Rappin' and Rockin' the House" est influencé par le "Got to Be Real" de Cheryl Lynn, et que "King Heroin" reprend "The Apprentice", des O'Jays. Ce sont bien sûr les musiques afro-américaines qui sont privilégiées, mais d'autres sonorités sont employées aussi, comme celles, hispaniques, de "The Mexican", un titre du groupe de rock anglais Babe Ruth très populaire dans les milieux hip-hop et disco.
Taillés dans le même roc, les morceaux des Funky 4+1 changent parfois de colorations. C'est le cas sur "Do You Want to Rock", un titre qui n'est pas le meilleur du groupe, mais qui varie les plaisirs avec des parties chantées qui ne jureraient pas chez Sister Sledge. Des guitares rock soulignent le propos sur "Super Stars". Quant à "King Heroin", une personnification de la drogue, ancêtre lointain du morceau solo de Jazzy Jeff, il s'écarte des thèmes à sens unique du groupe. Avec le timbre de voix féminin de Sha Rock, le principal signe distinctif des Funky 4+1, ces passages aidaient à rendre digeste cette compilation qui remplit très bien sa fonction : donner à un groupe clé des débuts du hip-hop le long format de référence qui lui a manqué.
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