Depuis des lustres, on nous promet la mort de l'album. Le CD devait désacraliser ce format, le MP3 le rendre obsolète. Et maintenant, c'est le streaming qui est censé lui donner le coup de grâce. Mais en réalité, rien ne change. Les gens qui ne s'intéressent qu'au plaisir passager des singles continuent à les privilégier, mais d'autres lui préfèrent encore une immersion plus longue et intense dans l'univers d'un artiste.

DENZEL CURRY - ZUU

En réalité, en affranchissant les albums d'une durée pré-définie, comme le faisaient les supports musicaux d'antan, le streaming aurait même tendance à en rétablir la pertinence. Si certains continuent à opter pour des durées longues, d'autres au contraire lâchent tout ce qu'ils ont sur un temps plus raisonnable, évitant ainsi la facilité du remplissage. Tel est le cas de Denzel Curry avec son dernier opus, ZUU.

Celui-ci aurait été plus spontané que planifié, son auteur disant en avoir improvisé les vers, sur le mode du freestyle. Cependant, un peu comme Kendrick Lamar quand avec DAMN., il est revenu à des formats plus digestes, ce projet encore plus court que les autres (29 minutes) n'en est plus que solide et homogène. Moins d'arrière-pensée, moins de calcul, du moins en apparence, mais des morceaux pleins d'impact, à l'image du banger qu'est le single "Ricky", de "CarolMart", de la conclusion bruitiste et criarde de "P.A.T".

De manière plus concise que jamais, Denzel Curry montre qu'il est un rappeur à la croisée des chemins. Ses clins d'oeil aux anciens (l'album fait référence au Wu-Tang, à Three 6 Mafia et à Dipset) s'accomodent de références à son ami disparu XXXTentacion, personnage emblématique du Soundcloud rap. L'expérimentalisme des sons et la versatilité des raps n'enlèvent rien à leur urgence et à leur vigueur juvénile.

Spontané, ZUU n'en est pas moins un album concept. Il marque le retour de Denzel Curry à ses sources floridiennes. ZUU, c'est le surnom de la ville où il a grandi, Carol City. Il est un hommage à cette banlieue de Miami d'où viennent aussi Rick Ross, Gunplay et Spaceghostpurrp, au Sunshine State en général, et plus largement aux racines du rappeur.

Ses producteurs sont une fois encore le duo australien FnZ, mais ses autres invités, de la star Rick Ross au nouveau-venu Kiddo Marv en passant par le revenant Ice Billion Berg, proviennent presque tous de Floride. Sur "CarolMart", il énonce clairement ce qu'il doit aux figures locales les plus illustres, Trina, Trick Daddy, Rick Ross et Plies. Sur "Shake 88", on entend un sample du "Boot The Booty" de MC Cool Rock & MC Chaszy Chess, un tube du premier genre musical à avoir mis la Floride sur la carte du rap, la Miami Bass. Et sur la vidéo de "Ricky", on le voit avec un t-shirt à l'effigie d'un groupe phare de cette tendance, le Poison Clan.

Denzel Curry ne parle pas seulement de rap, mais plus généralement de son passé. Portant le nom de son père, "Ricky" cite les conseils contraditoires que lui donnaient ses parents. Sur "Wish", il rend hommage à deux proches décédés, XXXTentacion et son frère Treon Johnson. "Blackland Radio 66.6" évoque une vieille mixtape de Spaceghostpurrp, celui qui, à la tête du Raider Klan, fut autrefois son mentor.

Le rappeur décrit son environment, celui, très sombre, de Carol City sur "ZUU", sur la collaboration avec Rick Ross, "Birdz", et sur le brutal "P.A.T." ('"Project And Turmoil", signifie l'acronyme : HLM et Tumulte). Et "CarolMart" est intitulé d'après un marché aux puces local disparu en 2016.

Denzel Curry aborde aussi les thèmes centraux du rap floridien, la quête du lucre et de la réussite sur "Speedboat", ainsi que, pour la première fois de sa carrière, celui des strip-clubs sur "Shake 88". C'est en fait tout son bagage qu'il ramène ici, au cours de cet album qui, s'il n'est pas le chef d'oeuvre du Floridien, pourrait bien être celui qui le définit le mieux.

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