Quand on parle du rap de Detroit aujourd'hui, c'est à Payroll Giovanni, Tee Grizzley, Sada Baby, Peezy, FMB DZ, Icewear Vezzo, voire aux ShittyBoyz, que l'on songe spontanément. Ces cinq dernières années, le rap de rue local a effacé la scène à laquelle la ville était autrefois associée, celle du hip-hop undeground, battle et backpacker qui a engendré des talents aussi divers et contrastés qu'Eminem et Jay Dilla.
Cette école existe toujours, pourtant, à travers la production traditionaliste et boom bap d'Apollo Brown et Black Milk. Elle a même encore beaucoup à nous offrir, grâce au plus neuf et au plus actuel de ses vétérans, ce Danny Brown qui a dû attendre d'avoir trente ans pour percer, à l'époque de l'album XXX. Alors qu'il approche maintenant de la quarantaine, il fait preuve de l'excentricité et de la créativité qui trop souvent, font défaut à ses collègues et à ses partenaires.
L'identité du producteur exécutif du dernier Danny Brown, en dit beaucoup. En confiant ce travail à Q-Tip, le rappeur de Detroit s'inscrit dans la lignée du rap-à-papa, certes, mais dans sa portion la plus psychédélique et la plus hallucinée.
Cette créativité, qu'il partage avec la tête de proue d'A Tribe Called Quest, aurait pu être la tare de Danny Brown. Son dernier opus par exemple, Atrocity Exhibition, avait de grands moments, mais il penchait souvent du mauvais côté de la musique de hipster. Le dernier, cependant, est à point. Une nouvelle sortie chez les laborantins anglais de Warp, ainsi que le renfort des expérimentateurs notoires Run The Jewel, JPEGMafia et Flying Lotus, auguraient de la même rudesse stylistique. Mais au contraire, cet album concis qu'est U Know What I'm Sayin? se montre plus accessible.
Danny Brown est un traditionnaliste qui, avec verve, s'en prend aux rappeurs de bas-étage sur le diss track "Theme Song". Il est un lyriciste qui cultive avec facilité l'art de la punchline, qui manie avec humour celui du bon mot improbable, comme avec l'intraduisible "papa was a rollin’ stone, so I sold rocks to him", sur le tube de l'album, ce "Dirty Laundry" produit par Q-Tip. Il démontre avec brio son aisance verbale et sa faculté à enchaîner d'improbables rimes internes, comme sur "Negro Spiritual". Le thème antique de la jungle urbaine est abordé sur "Combat", avec Q-Tip et Consequence. Il se contente le plus souvent d'une boucle simple, comme sur les titres "Theme Song" et "Savage Nomade". Sont évoqués enfin des rappeurs oubliés par la nouvelle génération, comme Digital Underground sur le même morceau, ou Mr. Serv-On de No Limit et MF Doom sur "3 Tearz", la collaboration avec El-P et Killer Mike.
Mais ce qui distingue Danny Brown, c'est qu'il n'est pas un gardien du temple : il est, bien au contraire, un fantaisiste.
L'humour est premier sur cette sortie qu'il appelle son comedy album. Il le prouve sur "Dirty Laundry", qui relate ses escapades sexuelles. Ce style scabreux est aussi à l'oeuvre sur "Belly Of The Beast", l'un des rares moments de l'album où sa musique s'adonne encore au culte de l'expérimentation.
Contrairement à certains de ses collègues, le rappeur de Detroit n'est pas un passéiste. Le passé, à l'inverse, il compte bien le laisser derrière lui. Les difficultés de son existence, il prétend les solder dès "Change Up", sur "uknowhatimsayin¿" et sur "My Best Life", un titre où le rappeur dit vouloir profiter de la dernière vie qu'il lui reste. La résilience, en effet, est le thème principal de cet album. Et avec Danny Brown, le vieux rap de Detroit en fait sacrément preuve.
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