En décembre dernier, lors de l’annonce des nouvelles promotions à l’Ordre de l'Empire britannique (plus ou moins l’équivalent de la Légion d’Honneur, de l’autre côté de la Manche), un nom aura retenu l’attention des amateurs de musique : celui de Richard Cowie. Le Londonien se voyait ainsi distingué pour sa contribution au rayonnement de son pays. Quoi qu’on puisse penser de ce type de décoration, cela était mérité. L’artiste connu sous le nom de Wiley n’est pas seulement à l’origine du style musical anglais le plus distinctif, en ce début de XXIème siècle. Ce genre qu’il avait intitulé lui-même eskibeat, mais que l’histoire aura retenu sous le nom de grime, il l’aura animé pendant près de 20 ans, ne cessant jamais d’en produire, et faisant la courte-échelle à d’autres, plus jeunes, qui désiraient eux aussi s’y adonner.
Pourtant, Wiley n’a pas toujours récolté les fruits de ses efforts. Ironiquement, ce sont plutôt ses anciens protégés qui ont incarné le grime aux yeux du public, au cours des deux périodes où il a été populaire : Dizzee Rascal au début des années 2000, et Skepta de nos jours. Du fait de sa vie chaotique, en raison aussi d’erreurs stratégiques commises pendant sa carrière, Cowie n’a jamais vraiment été au haut de l’affiche. Cette décoration, cependant, a conclu une année d’apothéose, marquée également par la sortie d’une autobiographie, Eskiboy, ainsi que par l’un de ses albums les plus solides, dont le titre a souligné le statut de Wiley : celui de Godfather, celui de parrain de la musique anglaise contemporaine la plus importante.
Sur ce disque, Wiley a retenu des leçons du succès de ses élèves, notamment celui de Skepta et de son album Konnichiwa. Pour l'essentiel, Godfather est franchement grime. Wiley y assume les près de vingt ans passés à façonner et à perpétuer cette musique. Ce disque est un hymne à sa longévité, à son infaillibilité et à sa pertinence restée intacte ("Back with a Banger", "Joe Bloggs", "Can’t Go Wrong "). Et la plupart de ses titres sont typiques du grime : ils sont rudes et soutenus ; les basses vous explosent les tympans ("Pattern Up Properly") ; ce sont des hymnes énergiques et urgents faits de raps très rapides ; ce sont même des tubes électroniques bizarres qui évoquent les premiers heures du genre, comme "Speakerbox", "Bang", et cette déclaration d’amour du musicien à son principal instrument, son ordinateur, sur "Laptop".
Pour encore mieux marquer le coup, et rappeler son statut auprès de tous ces gens, Wiley a convié une vingtaine d’invités, tous issus de la scène locale, voire de son aristocratie comme Skepta, JME, Ghetts, Chip, Devlin et Lethal Bizzle. Et bien qu’intrinsèquement grime, Godfather est un album de classe internationale, qui dépasse le statut de disque de genre. Ses sonorités sont modernes, voire étrangères : on y entend, par exemple, des motifs rythmiques trap, sur "Joe Bloggs". On y trouve aussi des moments à tendance R&B, à vrai dire pas les plus réussis, comme "U Were Always, Pt. 2", la suite d'un vieux titre avec Dizzee Rascal et Tinchy Stryder.
Rempli de tubes ébouriffants ("Holy Grime", "Bang", "Can’t Go Wrong", et d'autres encore), cet album avait été annoncé par Wiley comme le dernier avant sa retraite. Mais il nous avait déjà fait le coup avec le précédent, et dans l’un de ces revirements dont il est coutumier, il nous annonce un Godfather II pour 2018. De toute façon, c’était plié : le productif Londonien ne peut pas s’arrêter. Tant qu’il y aura du grime, il y aura Wiley, et vice-versa. Car Wiley est le grime.
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