Avant l'an 2000, il n'y avait qu'un Rick Ross : Ricky Donnell "Freeway Rick" Ross, un trafiquant notoire qui avait construit un empire de la drogue à Los Angeles. Mais après, il y en eut un autre, plus célèbre encore. William Leonard Roberts II, lui, était établi à Miami, et il était rappeur. Bien entendu, cette homonymie n'avait rien d'un hasard. Le second avait emprunté son surnom au premier, qui pour cette raison lui intentera un procès. Le Floridien avait choisi ce nom pour appuyer son propos, pour mettre l'accent sur son thème majeur et presque exclusif : le commerce de la drogue et ses à-côtés supposés, le luxe et la volupté. Ce sujet serait celui de son premier single, l'énorme "Hustlin'". Il serait aussi celui de l'album à suivre, Port of Miami, un début tonitruant qui, avec l'appui de Def Jam, serait numéro un aux Etats-Unis.
Tout cela, c'était en 2006. Mais en 2008, patatras, il s'avéra que notre rappeur baron de la drogue avait été gardien de prison au milieu des années 90. Rick Ross, dans un premier temps, nia les faits. Et puis, les preuves s'accumulant, il dut admettre la vérité. Il devint alors la risée de ses rivaux, 50 Cent en tête, qui se moqua avec jubilation de "Officer Ricky". Cette atteinte au principe d'authenticité ne porta pourtant pas longtemps préjudice au rappeur. L'année d'après, il revint plus étincelant que jamais avec Deeper than Rap. Puis il proposa quelques mixtapes d'anthologie et il mit sur orbite ses protégés de l'écurie Maybach Music Group. C'est qu'en fait, rien n'avait été véritable dans le rap de Rick Ross. Dès Port of Miami, tout était déjà en toc.
Le rappeur a souvent été présenté, à Miami, comme la réplique de la trap music d'Atlanta, popularisée peu avant par T.I. et Young Jeezy, mais ses paroles n'avaient pas le même parfum de réalité. Il était vu comme une suite au cocaine rap de Clipse, mais son rap n'avait pas l'aspect sinistre et déshumanisant de celui des frères Thornton. Avec Rick Ross, on était dans la glorification pure et simple du trafic de stupéfiant, avec une débauche d'excès qui ne pouvait que relever de l'autofiction. Prenons donc le titre phare, "Hustlin'", présent ici dans deux versions, l'originale, et le remix avec Jeezy et Jay-Z : dans l'un de ses passages les plus commentés, le rappeur y prétendait connaître Pablo Escobar et Manuel Noriega (le vrai Noriega, précisait-il, pas le rappeur Noreaga), et que ce dernier lui devait mille faveurs. Il clamait son appétit insatiable pour plus de bagnoles, plus de fringues, plus d'alcool et plus d'argent. Sur "Street Life", il vantait aussi une vie consacrée à consommer des femmes et des joints. Et sur le second single, "Push It", qui samplait Scarface, il nous parlait de l'ascension vertigineuse que lui avait offerte la vente de cocaïne. Et ainsi de suite, encore, et encore.
Rick Ross se dévouait tout entier à son image de nabab de la drogue intouchable et scintillant. Et pas seulement avec les paroles. La musique, avec la diversité qui sied à un blockbuster (les producteurs changeaient sur chaque morceau, les invités étaient multiples, parmi lesquels des Jay-Z, Jeezy et Lil Wayne qui volaient la vedette à Rick Ross), allait elle aussi dans cette direction. Outre le conclusif et introspectif "Prayer", un peu à contrecourant des autres, elle était souvent chatoyante, évoquant la vie sensuelle du faux trafiquant à grand renfort de refrains R&B dégoulinants comme sur "Cross That Line", "Get Away", "Hit You from the Back", "It's My Time" et "Street Life". Ou bien, elle jouait d'un funk classieux de type Blaxploitation, sur "I'm Bad" et "Pots and Pans". Ou bien encore elle sortait l'artillerie lourde, avec de gros coups de massue comme "Where My Money (I Need That)", et le puissant "White House", produit par DJ Toomp.
Ces derniers, se montraient souvent réussis (les grosses cylindrées ont souvent convenu au rappeur, comme il le prouvera plus tard, en collaborant avec Lex Luger), mais le reste de l'album l'était souvent moins. Si les premiers morceaux pouvaient faire illusion, Port of Miami, à la longue, s'avérait un projet plutôt médiocre, qui reposait essentiellement sur le succès et la portée de "Hustlin'". Même la voix de baryton de Rick Ross, l'un de ses principaux arguments, celle-là même qui colle si bien à sa morgue, n'avait pas encore atteint sa pleine puissance.
Port of Miami a été un album crucial. C'est par lui que Def Jam s'est lié à Slip 'N' Slide Records, le label des gloires locales Trick Daddy et Trina. C'est avec lui, en insistant sur son rôle de plaque centrale du trafic de cocaïne, que Rick Ross a replacé Miami aux avant-postes du rap, d'autant plus que plusieurs autres Floridiens (DJ Khaled, Cool & Dre, The Runners) avaient contribué à le produire. Mais il n'était que l'ébauche de l'œuvre d'un des rappeurs les plus impactant du nouveau siècle. Celui-ci, en effet, perfectionnera plus tard sa formule tout à la fois magnifique et grotesque. Il effacera la polémique autour d'Officer Ricky en donnant plusieurs suites à ce dessin-animé de dealer super-héros qu'était déjà ce premier album.
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