Ce fut la surprise du chef, celle que nous concocta Kanye West en 2018 ; et donc, forcément, comme à chaque fois qu'il est question du génie ou de la bête de foire (selon) de la scène américaine, ce fut aussi l'un des événements rap de l'année. Au début de l'été, ce n'est pas un album qu'il sortit, mais cinq. Le sien, et quatre autres, produits respectivement pour Pusha T, Nas, Kid Cudi et Teyana Taylor. Tous compacts, tous condensés sur vingt à trente minutes, ils ont été réunis sous le nom de Wyoming Sessions, d'après l'Etat où ils ont été conçus. De tous, cependant, c'est avant tout le premier sorti, le troisième solo de l'ancien Clipse, qui a été célébré. Et pour une raison claire : à l'opposé d'un Kanye West tout à ses concepts et à ses caprices d'artiste, Terrence Thornton, lui, est fidèle à lui-même, il ne change pas d'un iota.
La pochette de Daytona en donne l'indication. En exhibant une image édifiante de la salle de bain envahie de pharmacopée de feu Whitney Houston (une photo choc achetée 85 000 dollars par Kanye West), il est clair que Pusha T allait traiter une fois encore de ce qui n'a jamais été que son seul thème : la drogue. Il y parle de sa légitimité et de son pédigrée de dealer, comme des richesses acquises via son commerce. Et son seul invité après Kanye est, sur "Hard Piano", un autre adepte de la chose : Rick Ross. Seul "Santeria", quand Pusha T rend hommage à son ami assassiné De’Von Pickett, cesse quelques instants de nous parler de stupéfiants.
Ce thème rabâché, le rappeur en est le maître ultime. Le long de ces sept titres, il l'attaque sans pause, avec une présence, un mordant et un goût pour les double-sens qui ne l'ont jamais quitté. Il est là pour remettre les pendules à l'heure. C'est un Pusha T incisif qui s'en prend à la génération Soundcloud sur "Hard Piano", quand il ironise sur les gens aux cheveux roses. C'est un Pusha T corrosif qui, s'attachant à affirmer sa place dans le panthéon rap, s'attaque à quelques-uns de ses pairs comme Lil Wayne et Drake sur le conclusif "Infrared", préférant se comparer à Raekwon et à Ghostface Killah, en appeler à 2Pac et distribuer les bons points à Kendrick Lamar et à J. Cole. Son succès supposé dans le trafic de drogue est en fait une constante métaphore de sa supériorité dans le rap. A moins que ce ne soit l'exact contraire.
Ce rappeur-là est d'autant plus marquant et éclatant que Kanye West lui donne tout ce qu'il lui faut : pas de joliesses pop dédiées inutilement à élargir son public, quasiment pas de remplissage, courte durée oblige, mais une production minimaliste et ciselée qui met en valeur les raps impressionnants de Pusha T, une musique imprévisible et bourrée de surprises mais sans surcharge, un adroit jeu de samples et de chants venus rehausser le tout d'un peu de chaleur. Même si, à dire vrai, et pour modérer quelque peu l'emballement de certains à la sortie de Daytona, l'effet va décroissant à mesure que s'écoulent ses vingt et une minutes.
"If You Know You Know" est l'ouverture parfaite. D'emblée, la voix de Pusha T vous mord à la gorge, et elle ne vous lâche plus. Dès ses premières notes, il détonne, il se démarque du tout-venant rap. Et les suivants, "The Games We Play", "Hard Piano" et "Come Back Baby", sont également de haut vol. Cependant, l'album se termine en demi-teinte, avec une collaboration normale et attendue d'un Kanye West qui, aux raps, n'a jamais été un Pusha T, ni même un Rick Ross, puis un "Infrared" d'une sécheresse absolue. C'est le problème de tout album qui commence avec son meilleur morceau, ou en tout cas avec celui qui frappe le plus fort. Quand bien même elle serait au-dessus du lot, quand bien même elle serait conçue par un rappeur et un producteur d'exception, la suite en paraîtrait fade, comme dans le cas de ce Daytona.
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