C'est tout un monde parallèle qui s'est développé ces dernières années sur les réseaux sociaux. Pendant un temps, cet univers a su se passer des canaux habituels d'information et de légitimation du rap. Puis il a été identifié à son tour, et étiqueté sous le nom de Soundcloud rap. Kevin Pouya (oui, c'est son vrai nom, ce garçon de Miami étant d'origine iranienne), a été un représentant de cette tendance. Il est même un cas d'école, puisqu'il a commencé à se faire connaître avec des vidéos idiotes, postées en ligne avec son pote Fat Nick. Puis il est passé au rap, il est devenu visible en 2013-14 avec les titres "Get Buck" et "Straight Up", et il a été repéré par un autre Floridien, Robb Bank$, membre d'un Raider Klan qui aura été pionnier dans cette approche centrée sur le Web. Ont suivi des collaborations avec d'autres figures de la même obédience comme $uicideboy$ et Ghostmane, et puis cette année, graal ultime, avec Juicy J.
Il y a quelques mois, toutefois, Pouya s'est élevé au-dessus du panier : en plus de singles efficaces, il a sorti un album bien construit. Five Five (il s'agit de sa taille : avec ses 5 pieds et 5 pouces, soit 1 mètre 65, Pouya n'est pas très grand...), est considéré par beaucoup comme un progrès par rapport à son prédécesseur, Underground Underdog. Il est court, ramassé et solide, grâce au seul homme qui en assure la production, Mikey the Magician, lequel passe sans anicroche de sons modernes à d'autres, évocateurs des années 90. Cette régularité, on la doit aussi à la présence d'un seul rappeur (si l'on omet la participation de Night Lovell à "Don't Bang My Line"). C'est en effet le même phrasé, celui de Pouya, que l'on entend partout, un phrasé souvent chantonnant, attendu de la part d'un homme si marqué par Bone Thugs-n-Harmony que Baby Bone fut le nom de son premier projet, ainsi qu'un autre de ses pseudos.
La constance de Five Five tient aussi à son thème. Derrière l'agressivité de titres redoutables comme "Back Off Me", l'album tourne autour des angoisses et des insécurités de Pouya. Dès le premier titre, "Aftershock", il se réfère discrètement aux affres de la célébrité. Même chose sur "Void", le suivant, où il remarque être désormais poursuivi par les mêmes filles que celles qui le méprisaient quand il n'était rien. Cette paranoïa, cette défiance envers les faux amis, s'expriment aussi derrière les allures fières de "Handshakes", ainsi que sur "Voices".
Dans une suite à l'un de ses premier titres, le magistral "Suicidal Thoughts in the Back of the Cadilac", le rappeur a des pensées funestes. Ou au contraire, il devient fleur bleue sur "Daddy Issues" et "Weighing on Me", des chansons d'amour vulnérables inattendues chez celui qui, il y a quelques mois, était accusé par une groupie de l'avoir violée en bande... Au bout du compte, Pouya exprime tous les états émotionnels d'un teenager. Il a ces thèmes et cet esprit adolescents qui, en toute logique, fondent une bonne part du succès rencontré aujourd'hui par les soundcloud rappers, mais packagés avec un soin dont ils ne sont pas tous coutumiers.
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