Ca a longtemps été une règle dans le rap : à chaque collectif d'importance, sa rappeuse. Et à l'époque de No Limit, celle qui a occupé ce rôle, celle qui s'est présentée comme la "Big Mama" de tous ces gens, a été Mia X. Elle n'était alors pas tout à fait une débutante. Dix ans avant, dans les années 80, alors qu'elle était adolescente, elle avait appartenu déjà à New York Incorporated, un quartet dont l'autre membre notable était Mannie Fresh. Le nom du groupe sera la source d'une erreur, reprise par maintes biographies : il fera croire que la rappeuse vivait à New-York. Mais c'est bel et bien à La Nouvelle-Orléans que Mia Young est née, et que sa carrière toute entière s'est faite. Elle connut même, en indépendant, un certain succès local, jusqu'à ce que Master P la fasse entrer dans sa clique, et qu'elle rencontre avec elle une réussite commerciale bien plus large, notamment avec cet album disque d'or, Unlady Like.
S'il est facile aujourd'hui, au vu de la postérité de No Limit, de se moquer de ceux, nombreux à l'époque, qui dédaignaient ou qui snobaient ce gangsta rap caricatural venu du Sud, il faut savoir se replacer le contexte, et se souvenir de l'allure de leurs disques. Il s'agissait en effet de CDs remplis au maximum de leur capacité de stockage, avec des titres de toutes natures et de toutes qualités, produits par des gens qui délivraient des beats de manière industrielle (et qui s'appelaient, afin que ce soit clair, Beats By the Pound), et où se donnaient rendez-vous, quel que soit le nom de la personne sous lequel le disque sortait, tous les artistes de cette écurie.
Unlady Like ne faisait pas exception. C'était un franc bazar, un fatras agencé sans grande logique (pour preuve, au beau milieu du disque, se trouvait une plage nommée "Intro"). Certes, on y entendait Mia X sur chaque titre, mais dès le premier, Master P, C-Murder, Silkk The Shocker et Mystikal étaient présents. Et ils resteraient dans les parages, pendant que d'autres rappeurs maison encore, prêteraient renfort à leur consœur. Et aucun, pas même Mia X, n'y allait avec le dos de la cuillère. C'était de l'égo-trip gangsta, déclamé avec des voix agressives et abrasives, si paroxystique qu'il tournait au grotesque et à l'auto-caricature. C'était aussi une musique entrainante et bondissante, une forme de rap qui avait su garder le contact avec le club et avec la fête, comme le montraient des titres tels que "The Party Don't Stop".
Mia X rappelait qu'elle était la dame de No Limit, sa maman. La figure de la mère, forte et protectrice, était au centre de "Mommie's Angels". Et avec des titres comme "Mama's Family", son label prenait des allures de matriarcat. Elle montrait aussi ses accointances avec d'autres rappeuses, en conviant Foxy Brown sur "The Party Don't Stop", et en reprenant à sa sauce (c'est-à-dire de manière sale) le "I'll Take Your Man" de Salt-N-Pepa. Mais pour le reste, sa posture était identique à celle de ses collègues mâles, à cette famille à qui elle exprimait son attachement sur "4ever TRU". Bref, comme l'album l'indiquait, Mia X n'avait rien d'une lady.
Elle se montrait même extrêmement menaçante, notamment sur "Ain't 2 Be Played Wit". Sur le morceau éponyme, en mère maquerelle, elle inversait les rôles et prostituait les hommes, et sur "All N's", elle leur demandait de la satisfaire sexuellement, avec la même verve pornographique que les rappeurs taxés de misogynie. Même "I Don't Know Why", l'une de ses escapades sentimentalistes dans le R&B, prenait la forme d'une déclaration d'indépendance féminine, quand Mia X disait préférer être une délinquante plutôt que vivre au crochet des hommes. Et sur "I Pity You", elle s'acharnait sur les autres femmes, pas aussi rudes qu'elle, affirmant que l'avortement était le seul type de meurtre dont elles étaient capables. Ouille...
Cette mise en scène d'une femme dangereuse et dominatrice était brutale, mais elle pouvait emprunter aussi des chemins moins attendus. Avec "Hoodlum Poetry", elle prenait même la forme d'un morceau de rap "conscient", déclamé sur le mode de la spoken poetry. Mia X s'engageait en effet dans une longue dénonciation du crack, personnifié sous les traits d'une funeste jeune femme. Elle démontrait ainsi ce que beaucoup admettraient plus tard : sous les abords grossiers de No Limit, malgré son approche industrielle de la musique, ses disques surchargés et son goût pour les clichés, ce label avait finalement tout ce qu'il fallait, de l'efficacité, de l'humour, de la diversité, et même de la subtilité ; et surtout, une femme forte.
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