Le temps des critiques et du contenu éditorial est révolu. Même si des gens de la vieille génération persistent dans cette voie (ici même, par exemple), il est devenu superflu de donner son opinion sur la musique. Il suffit de faire circuler des liens pour permettre à quiconque de juger sur pièce.
La jauge de la musique, c'était autrefois les amateurs éclairés et les professionnels du journalisme musical. Aujourd'hui, ces gens ne servent plus à grand-chose. L'unité de mesure, c'est la vitesse et la fréquence avec lesquelles une vidéo ou un lien Soundcloud circule sur les réseaux sociaux. Voilà donc pourquoi il est si ardu de se documenter sur Lil Baby. Même si, à droite, à gauche, on a vu des gens vanter son Counted Up In The Dark, presque rien n'a été écrit dessus.
Tout juste sait-on qu'il est basé à Detroit, et qu'il ne doit pas être confondu avec le rappeur homonyme apparu à Atlanta dans l'ombre de Young Thug. Ce Petit Bébé-là, ce sont les artistes émergents de la scène de sa ville, l'une des plus excitantes du moment, qu'il fréquente : par exemple des gens associés à la sulfureuse Team Eastside, comme BabyFace Ray, qui collabore à "Under Dog", en plus d'un certain Baby Money (à Detroit, visiblement, on aime les nourrissons…).
S'il restait un doute sur la provenance de Lil Baby, la musique parlerait d'elle-même. Elle est fidèle au son du Detroit contemporain : son inspiration est d'essence sudiste (oubliés les Eminem et les Royce da 5'9" d'autrefois), mais dans une déclinaison plus rêche, plus sèche, plus clinique et plus véloce, comme le démontre un titre comme "Huh" ou, de manière plus éclatante, le saisissant posse cut "Deep Thought".
Les thèmes sont ceux, alimentés par l'esprit de bande, de l'agressivité et de la paranoïa du rappeur délinquant. Mais ils sont parcourus d'un spleen subreptice, véhiculé par un rap marmonné qui semble aussi fatigué qu'orgueilleux. Cette mélancolie se manifeste même quand les préoccupations sont exclusivement vénales, comme sur "Fast Money".
Lil Baby nous parle d'un quotidien de dealer, mais sans le glamour qui lui est prêté chez d'autres. Au contraire, il semble comme désensibilisé par son "métier", il est confronté à des gens déshumanisés par l'argent. C'est particulièrement marquant sur les titres les plus lents, les plus pesants, comme le "Under Dog" déjà cité, l'un de ses meilleurs.
Et c'est là, malheureusement, tout ce que nous pourrons vous dire sur Counted Up in the Dark, sinon qu'il a été, en 2017, l'un des albums les plus marquants de la scène rap du moment. Mais n'est-ce pas tout ce qu'il faut en retenir ?
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