C’est la grande découverte de ces dernières années, du côté de chez nous : le meilleur rap français serait, en fait, le rap belge. Depuis plusieurs mois, donc, Damso, Romeo Elvis, Hamza, Caballero et JeanJass, sont les rappeurs qui occupent le haut de l'affiche. Et à ces nouveaux-venus (ou qui le paraissent tels, vus de France), il faut en ajouter d’autres, parfois encore plus remarqués par la critique que par le grand public, par exemple Isha, un proche des derniers cités. Au détail près que ce rappeur, autrefois connu sous le nom de Psmaker, présent depuis 15 ans sur la scène bruxelloise, est tout sauf un bleu, ce dont témoigne La Vie Augmente Vol. 1.
Isha est trentenaire. Et ce projet est pour partie le bilan d’une vie déjà bien remplie. Une vie qui, comme le rappeur le dit sur "Le Salon de l’Auto", l'a changé sans le rendre fréquentable pour autant. Ce parcours ambigu se traduit dans les paroles. Isha y embrasse, sans ambages, la vulgarité associée aux rookies du rap, avec ses histoires de drogues, de sexe et de filles faciles. Mais il l’associe à des manifestations de tendresse, comme sur "3h37", une chanson d’amour rude. Et dans ses moments les plus introspectifs, il se penche sur son cas avec la quiétude et la sagesse qui viennent avec l’âge, ou bien il proclame son affection pour son fils. Comme il le dit sur "L’Augmentation, Pt. 1", notre homme a des tics de bandit, mais son esprit est gentil.
Sa longue histoire avec le rap, Isha en rend compte stylistiquement aussi. Il le dit sur "Tony Hawk" : "mon style c’est le meilleur, mélange de maintenant et des années Get Up". Ce premier volet de La Vie Augmente couvre en effet un large spectre temporel, allant de vieilles boucles traditionnelles aux rythmiques trap ou aux productions atmosphériques d’aujourd’hui. Même chose pour les textes : ils racontent des choses, dans une tradition qui tient de la chanson française, tout en jouant du slogan, du sens de la formule et des ad-libs du rap contemporain.
Ce projet est éclectique, mais il est bien ficelé. Tout d’abord, il s’ouvre et il se clôt par deux de ses titres les plus puissants, deux de ses plus intimes et posés, aussi : d’une part le crescendo "LVA", où il retrace les épisodes de sa vie (la mort prématurée de son père, son implication dans le rap...) ; et le très bien écrit "Frigo Américain", où il évoque avec nostalgie un vieux rêve d’enfant, si dérisoire, et pourtant si fondamental. Et entre les deux, on trouve le très bon "Tony Hawk", un titre calme contre les mauvais, un "Colette" mélancolique et plein de regrets, quelques tubes agressifs qui cartonnent, comme "Yipiya", "S.O.A.B.", et bien sûr le remarqué "Oh Putain", un morceau improbable où le Belge se décide à rapper avec l’accent marseillais.
L’un des thèmes de La Vie Augmente Vol. 1 est la carrière d’Isha dans le rap. C’est l’espoir, ou l’absence d’espoir, d’une rencontre avec le succès. C’est l’exaltation de son style, tout autant que l’autodérision. Cette fois, pourtant, compte-tenu de la qualité de son projet, il a toutes les raisons d’y croire quand il nous dit des choses telles que "je suis le renouveau des nouveaux négros qui signent". La vie augmente, et pour Isha, c’est la trentaine passée qu’elle commence.
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