La carrière de rappeuse d'Heather B. se réduit finalement à pas grand-chose. Elle n'aura sorti en tout et pour tout que deux véritables albums. Et aux yeux des Américains, elle aura été avant tout une personnalité des médias. C'est en effet à travers la première saison de The Real World, une émission pionnière de la télé-réalité diffusée par MTV à partir de 1992, que Heather B. Gardner s'est fait connaître du plus grand nombre. Et sa présence à l'écran (le petit, et parfois le grand) comme sur les ondes aura perduré bien au-delà de son activité discographique. Pourtant, c'est bel et bien par le rap que la native du New-Jersey a débuté, comme le montrait le rôle qu'elle jouait dans le programme qui l'a fait connaître : le sien, celui d'une rappeuse qui cherchait à percer dans un milieu généralement hostile aux femmes.
Heather B., en effet, avait en tout premier lieu voulu se consacrer au rap. Et pour cela, elle avait fait le siège de KRS-One, dont elle avait rencontré le frère pendant ses études. A force d'être sollicité, de guerre lasse, l'homme de Boogie Down Productions avait fini par l'accueillir dans son entourage, et il l'avait invitée sur son album Sex and Violence, au moment même où s'ouvrait l'aventure MTV. Logiquement, Heather B. allait donc suivre la même voie que celle de son mentor, celui du rap conscient et de l'edutainment, comme l'indiquait le titre de son premier single remarqué, le morceau anti-flingues "All Glocks Down". Et son premier album, Takin' Mine, allait être parfaitement dans cette lignée, avec son boom bap qui rappe dur.
Sorti six ans plus tard sur un label indépendant (signe que sa carrière rap périclitait), le second album d'Heather B., Eternal Affairs, était toujours sur ce créneau. Produite par Gordon Williams et, plus marginalement, par deux légendes du son new-yorkais (Pete Rock et DJ Premier), accompagnée de proches de Nas (Horse et Nature), parsemée de samples cramés (celui de "In The Rain" sur "What She Don't Know") et souvent imprégnée de R&B (avec les chants de Twyla, Kenny Lattimore, Renee Neufville et Alvaughn Jackson), sa musique était encore celle de la décennie 90. Il en était de même du style de rap. Heather B. privilégiait en effet les jeux de langage, comme par exemple sur "Live MC", où elle s'amusait à décliner chaque lettre de l'alphabet. Dans la même veine, elle crachait aussi son venin sur les mauvais rappeurs.
Et pourtant, ce disque se montrait un peu moins hardcore que le précédent, plus musical, plus délicat. Sur le mélancolique et joli "Gotta Love Me" par exemple, Heather B. se montrait éprise d'un dealer magnifique dont le commerce allait finir par tuer son cousin, mais son propos se terminait par une question, plutôt que par une dénonciation trop facile. Musicalement parlant, elle s'aventurait un peu plus loin, comme sur "Eternal Affairs", avec son live hip-hop que n'auraient pas renié The Roots. Et quoique super minimaliste et purement boom bap, "One Life", "I Will Never Change" et "More Than the Music", avaient tous un léger supplément d'âme.
Heather B. avait aussi l'amertume de ceux dont la carrière a failli. Elle dissertait avec "Nobody Knows" sur le mépris et l'oubli, et ironisait avec "Live MC" sur la naïveté des wannabe vis-à-vis de l'industrie du divertissement. Ou à l'inverse, elle manifestait ce désir de revanche et de gloire qu'on entendait sur "More Than the Music", des envies de triomphe qui explosaient avec cette fin hargneuse qui s'emparait du mot d'ordre de Nina Simone : "Young Gifted & Black".