Three 6 Mafia a été le groupe de tous les excès. Et s'il en est un pour lequel, plus que tout, il a été vilipendé, il s'agit bien de la misogynie. Glorification des proxénètes, objectivation de la femme, fascination sordide pour les strip-clubs… Juicy J, DJ Paul et les autres nous ont tout fait en la matière, et jamais avec le dos de la cuillère. Et pourtant, parmi eux, figurait une femme ; une adolescente même, puisque Lola Mitchell, alias Gangsta Boo, les avait rejoints alors qu'elle avait à peine 16 ans. Et forcément, pour survivre dans un tel entourage, elle n'avait eu qu'une option à sa disposition : les imiter, se montrer à la hauteur, surenchérir même, donner plus de coffre encore à leur rap de gangster paroxysmique, devenir outrancièrement agressive.
Ceci, Gangsta Boo l'a fait pendant cinq ans sur les albums du groupe, avant de les quitter en 2000 pour des désaccords financiers (elle les retrouvera plus d'une décennie plus tard, au sein de l'aventure Da Mafia 6ix). Elle l'a fait aussi en solo, dès son premier album, un Enquiring Minds qui, porté par le single "Where Dem Dollas At", remporta un certain succès. Produit sans surprise par DJ Paul et Juicy J, comptant la participation des habituels Crunchy Black, Project Pat, Koopsta Knicca et de l'ensemble du Prophet Posse, celui-ci avait été, la spécificité d'un timbre féminin en prime, un produit absolument caractéristique du style rap de Memphis.
Tout était là, sur Enquiring Minds : les atmosphères sinistres, les chœurs de thugs, les phrases répétées ad nauseam, les posse cuts de barbares sanguinaires ("Who We Be"), des égo-trips qui prenaient la forme de torrents d'injures et qui viraient à l'appel au meurtre ("Kill, Kill, Kill, Murder, Murder, Murder"), les déchaînements de violence ("This is Personal"), les apologies du commerce de la drogue ("Money and the Powder"), les morceaux sur les plaisirs de la défonce ("High Off That Weed"), les séquences pornographiques, les descriptions infernales de la vie de la rue ("Be Real", "Life in the Metro") et les hymnes sauvages pour clubs glauques ("Don't Stand So Close"), dans la lignée de l'historique "Tear Da Club Up". Sans peur aucune, Gangsta Boo apportait également sa perspective à une ode bruyante aux fellations ("Suck a Little Dick").
Elle ne se présentait certainement pas comme une jolie créature fragile. Quand Gangsta Boo sacrifiait au rite de la chanson d'amour avec le mielleux "I'll Be the Other Woman", ce n'était pas un cadre idyllique qu'elle nous dépeignait, mais une relation adultère. Même chose avec "Only You", où l'on avait affaire à des amants diaboliques, plutôt qu'à un couple animé par de bons sentiments. Au lieu d'en appeler à l'émancipation des femmes, Gangsta Boo, en fait, accomplissait d'abord la sienne. Elle clamait sans cesse sa supériorité sur les autres, et elle traitait les hommes avec mépris et domination sur le lubrique "Nasty Trick", exactement comme ses comparses masculins le faisaient si souvent, à l'encontre de la gent féminine. Elle montrait que ce que les détracteurs du rap prenaient parfois pour de la misogynie était, en vérité, une démarche plus personnelle d'affranchissement, une volonté furieuse d'affirmation de soi aux dépends des autres, quels qu'ils soient, hommes ou femmes. Au royaume du rap, seuls les forts ont le droit de prendre le micro. Et parmi ces forts, il y eut Gangsta Boo.
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