Sortie en 2012 et intitulée Just Do It, la première mixtape de Deja Trimble était fidèle à la tradition backpacker de la ville de Detroit. La jeune femme, qui adoptait alors un look unisexe, s'y montrait introspective, et ses sons venaient avaient une forte saveur boom bap. En conséquence, elle semblait condamnée à demeurer longtemps dans l'underground. Pourtant, deux ou trois ans plus tard, Dej Loaf (ce pseudonyme lui venait de son goût pour les mocassins, "loafers" en anglais), était signée sur la major Columbia, elle rappait auprès de la grande star de sa ville, Eminem, sur la compilation Shady XV, elle gagnait sa place dans la promotion 2015 des Freshmen du magazine XXL et elle faisait la première partie d'une tournée de Nicki Minaj.
Cette soudaine promotion de la rappeuse de Detroit s'explique par deux mots : "Try Me". Ceux-ci sont le titre du single qui l'a révélée en 2014, à la suite d'un succès viral amplifié par la citation qu'en a fait Drake sur son compte Instagram. Sur ce morceau, cette jeune femme chétive changeait d'attitude : elle se faisait agressive, nous parlant de flingues, d'argent, de cocaïne et d'abattre ses ennemis (ou plus exactement, de les transformer en macaronis). Elle partageait aussi son goût pour l'alcool et traitait les garçons de putes. Elle le faisait en usant d'un rap entêtant et chantonné, pas très éloigné de la drill music de la ville proche de Chicago, quoi que déclamé sur un rythme plus lent et accompagné de sons plus atmosphériques.
Sorti quelques mois après, Sell Sole n'insistait pas sur ce single : il n'était présent qu'en toute fin, dans une version remixée, avec le renfort de Remy Ma et de Ty Dolla $ign. Néanmoins, cette mixtape consacrait l'apparition de la nouvelle Deja, celle qui, programmée pour le succès, collaborait avec Birdman et Young Thug sur un titre qui faisait allégeance à la vie des gangs (celui des Bloods, en l'occurrence). D'emblée, dès le prenant "Bird Call", c'était Dej Loaf la gangster pas commode qui se présentait à nous. C'était celle qui prétendait s'être faite toute seule, sur "On My Own", un autre temps fort ; celle qui, sur "Grinding", voulait réussir à tout prix ; celle qui, sur "Easy Love", prenait pleine possession de sa sexualité le temps d'un "open up your mouth, put this pussy on your face" (ouvre ta bouche, pose cette chatte sur ta figure).
Mais comme avec "Try Me", cette rudesse était contrebalancée par la musique, parfois constituée de nappes, souvent contemplative. Dej Loaf flirtait même avec le R&B sur un "Never" qui exprimait la même ambition que "Grinding", ainsi que sur "Me U & Hennessy", une torride histoire d'amour à trois entre elle, son amant et l'alcool. Et elle renouait parfois avec la confession, comme avec "I Got It", une longue réflexion entamée par le deuil de son cousin et de sa grand-mère. Sur Sell Sole en fait, nous entendions les deux Dej Loaf : la gamine du ghetto dont le père avait été assassiné et dont une partie de la famille avait connu la prison, et la petite fille timide qui s'était réfugiée autrefois dans l'écriture de son journal intime.
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