Il y a fort longtemps, en 1991, à Truro, dans ce nulle part qu'était la province canadienne de Nouvelle-Ecosse, fut fondé le Hip Club Groove. Ce groupe, alors confidentiel, fut en quelque sorte la matrice d'une scène qui, quelques années plus tard, à la grande époque des labels de rap indépendants, aurait son heure de gloire : celle d'Halifax. Il avait été cofondé par DJ Moves et Checklove, Sixtoo avait fait un temps partie de l'aventure, tout comme Gordski, plus tard le producteur des Goods, et il collaborait souvent avec un certain Stinkin' Rich, futur Buck 65. Et tous ces gens, le temps venu, referont parler d'eux, avec plus ou moins d'écho, Checklove en tant qu'acteur, sous son vrai nom de Cory Bowles, et tous les autres dans la musique.
Cependant, le troisième membre original du groupe est resté méconnu. Derek MacKenzie a pourtant continué à être actif, mais il est passé du côté du rock. Proche de Marc Costanzo, qui avait sorti le second album de Hip Club Groove sur son label, il avait collaboré avec le groupe de ce dernier, Len, une formation surtout connue pour le titre "Steal My Sunshine" et pour avoir compté en ses rangs Brendan Canning, l'un des fondateurs de Broken Social Scene. Et puis, toujours dans une veine rock, MacKenzie avait lancé son propre groupe, Alcona, sans faire grande étincelle. Il s'était ensuite plus ou moins retiré de la musique, à l'exception d'une brève apparition sur Hokey Religions & Ancient Weapons, une mixtape du label Hand’Solo Records. Avec Fortunato et Lexington, il y contribuait à un morceau intitulé "The Ripped Thong Song".
Toutefois, en amateur, Derek MacKenzie a continué à faire de la musique. Il s'est aussi acoquiné avec Tim Horlor, alias Recordface, le producteur du duo OK Cobra, dont l'autre membre est aussi un vétéran de la scène rap indé canadienne, Fritz tha Cat, ainsi qu'un vieil ami de MacKenzie. Ensemble, ils se sont amusés à enregistrer quelques morceaux, sans ambition, sans intention de les sortir un jour. Mais quand Thomas Quinlan (celui qui, par ses activités de journaliste et de patron de Hand’Solo, a le plus contribué à faire connaître cette scène) est tombé sur leurs démos, il les a trouvés si bonnes qu'il a convaincu les deux hommes d'en faire un disque. Sous le nom cryptique de 5.1.nine.0.2 (ces chiffres étranges feraient référence aux villes respectives des deux hommes, Truro, et London dans l'Ontario), Derek MacKenzie et Recordface ont donc sorti cette année l'album When a Name is Just a Number.
La première chose qui frappe, à l'écoute de disque très court, c'est sa tonalité rock, somme toute logique compte-tenu de la seconde carrière de Derek MacKenzie et de sa vieille accointance avec le label Murderecords. L'une des figures de ce dernier, le chanteur folk Al Tuck prête d'ailleurs sa voix et son harmonica aux deux autres, sur le morceau "Back Home" (en plus, ailleurs, du renfort des rappeurs Checklove et D-Sisive). Et d'autres éléments encore soulignent cette influence : des batteries proéminentes ("Easy Come Down"), un sample d'AC/DC ("All I Know"), des mélodies mélancoliques ("More Money Than Friends", "Water Tower", "Just Like Us"), des débauches d'énergie ("This Time") et les paroles (le bilan d'un quadra à mi-parcours de son existence) à fleur de peau, qui épousent la forme de la chanson.
Mais pour le reste, c'est bel et bien du rap, avec les caractéristiques de cette scène canadienne, comme cette propension à renouer avec les routines (le refrain entonné en chœur sur "One More Rhyme") et les envies électroniques ("Real People") du hip-hop des années 80, une tonalité très "live" et une inventivité systématique. Au bout du compte, ces deux hommes d'âge mûr qui cumulent un demi-siècle d'activisme dans la musique, nous offrent sur le tard un disque plus que présentable, qui prouve une fois de plus que Thomas Quinlan a un goût sûr et qu'il avait raison : ces morceaux, il fallait vraiment les faire connaître au grand nombre.
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