Young Scooter aurait pu avoir un tout autre destin. En 2013, à l'époque de l’engouement autour de la mixtape Street Lottery, on aurait cru que les choses allaient se précipiter pour lui, et qu’il gagnerait bientôt sa place parmi les rappeurs les plus emblématiques d’Atlanta. Après tout, il était au cœur du système, du fait de son amitié ancienne avec Future et de son association avec le 1017 Brick Squad de Gucci Mane. Mais en fait, non. Kenneth Bailey est toujours là. Il est actif, il fait partie du paysage. Mais il ne tire pas vraiment profit de l’exposition grand public dont jouissent ses compères, ni de la normalisation dont bénéficie la trap music.

YOUNG SCOOTER - Jugg King

Pourtant, Young Scooter est toujours au cœur de cette scène. Et il est respecté par ses pairs, comme le montre l'impressionnante liste d'invités de sa dernière mixtape. Meek Mill, Future, Young Dolph, Young Thug, Waka Flocka, Zaytoven, Metro Boomin, YFN Lucci, Trouble, A Boogie Wit da Hoodie, et d’autres encore, lui prêtent renfort. C'est toutefois le principal intéressé qui donne le ton sur Jugg King. Et comme si rien n’avait changé depuis le temps où la trap était une musique produite au mètre sur des mixtapes réalisées en série, Young Scooter continue à dérouler imperturbablement ses histoires de deal de drogue avec son phrasé indolent.

Le rappeur ne dévie pas de son sujet. Dès le début, sur "Black Migo Stories", il nous parle de cartels mexicains utilisant sa bonne ville d’Atlanta comme plaque tournante de leur commerce. Et lui, le Black Migo, se place au cœur de ce trafic. Plus tard, il compte ses billets, il détaille le magot collecté grâce à son labeur, il étale ses richesses, il affirme sa fidélité à la rue ("Streets on Fire"), il se déclare prisonnier de son métier ("Used to Ballin’") ou, comme sur "Burglar Bars and Cameras", il vante la qualité et la diversité de sa marchandise. En résumé, donc, Jugg King ne brille pas par sa diversité thématique ou stylistique. Celle-ci se limite peu ou prou à l’hommage au vieux g-funk californien de "Nuthin' but a 'G' Thang" et de "Gin & Juice", sur "OG Snoop".

Et pourtant, la mixtape contient des perles. Sur "Can’t Play Around" par exemple, le contraste entre les couplets de Scooter et le chant grave du refrain entonné par Future fait des merveilles. La musique lente et lourde de "Hustlin’", la collaboration avec Meek Mill et YFN Lucci, traduit on ne peut mieux le caractère besogneux des activités illicites décrites par les trois hommes. "Diamonds", avec Don Q et A Boogie Wit Da Hoodie, est une ritournelle entêtante et absurde de m’as-tu-vus, comme cette musique n’en fait presque plus.

A l’heure où la trap music triomphe, alors qu’elle est devenue le mainstream et que, parfois trop calculée, elle s’affadit avec le succès (pour preuve les albums solides, bien produits, mais un peu frustrants de Migos ou du Gucci Mane de l’après-prison), Young Scooter préserve sa saveur d’autrefois. Même si elle suit la tendance générale du moment, celle qui vise à baisser le tempo, sa musique s’accommode toujours du format mixtape. Et si elle manque parfois de tubes évidents, si elle avance en roue libre, elle se fait toujours insidieusement séductrice. Car au bout du compte, s’il devait n'en rester qu’un seul à Atlanta, ce serait Young Scooter.

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