Le rôle crucial de Trap Muzik dans l'histoire du rap est facile à montrer. Ce second album de T.I., tout d'abord, est celui qui a accéléré la carrière du rappeur. Après l'échec de I'm Serious, un premier opus décevant malgré l'appui des Neptunes et de figures telles que Too $hort, l'homme autrefois connu sous le nom de Tip a su rebondir. Après sa contribution remarquée au tube "Never Scared" de Bone Crusher, la création de son label (Grand Hustle), une nouvelle signature en major (Atlantic), des mixtapes conçues avec l'aide de son groupe P$C et d'un certain DJ Drama, Trap Muzik lance une campagne réussie de conquête du succès, qui culminera plus tard avec King, T.I. vs. T.I.P. et Paper Trail.
L'autre raison, plus fondamentale encore, de ne pas ignorer cet album, c'est qu'il a donné son nom au sous-genre musical le plus important des dix ou quinze années à venir. Avec ce disque, la vente de drogue (symbolisée par la "trap", cet endroit utilisé par les dealers pour concocter et écouler leurs produits) devient comme jamais le thème central du rap.
Les paroles, par exemple celles de Mac Boney sur le titre éponyme, donnent des indications précises sur l'élaboration et le trafic de stupéfiants. Sur le titre du même nom, T.I. nous parle fièrement de son statut de "Rubber Band Man", du nom des élastiques placés autour de ses poignets pour lier ses billets, et il s'y dépeint des armes à la main. Il présente tout cela comme une activité normale, sur "Doin My Job". Et quand il fait une pause, c'est pour exhiber sa réussite matérielle ("Look What I Got", "Bezzle") et nous parler des échappatoires à la vie laborieuse de dealer : le sexe, les femmes ("Let's Get Away") et les tours en bagnole ("24"s").
Ici, T.I. marque aussi l'avènement d'une autre génération de rappeurs d'Atlanta, distincte de celle d'Outkast et de Goodie Mob. Conçus avant tout par DJ Toomp, son producteur habituel, les sons se montrent plus âpres, mais aussi plus dansants, plus sautillants et souvent plus chaleureux ; plus conformes, en somme, à ce qui se passe sur la scène locale.
Trap Muzik, en fait, est l'un des manifestes du rap sudiste, T.I. s'en proclamant le roi sur "Kingofdasouth". Y sont conviés quelques-uns des rappeurs méridionaux les plus emblématiques : 8Ball, MJG et Bun B sur ce "Bezzle" si excellemment sudiste, et David Banner sur "Rubber Band Man".
Pour le public, toutefois, la transition est douce, la musique se faisant parfois plus nordique quand, sur "Doin' My Job" et "Let Me Tell You Something", intervient avec ses samples soul typiques l'un des responsables du son Roc-A-Fella, lui aussi à l'aube d'une grande carrière, un certain Kanye West.
T.I., qui s'est d'abord fait une place en écrivant les textes des autres, a aussi suffisamment d'agilité verbale pour plaire à la génération d'avant, celle du rap "lyrical". Son album parle de drogue sans ambages ni délicatesse, mais avec adresse et intelligence. A l'écouter de près, le rappeur ne la glorifie pas toujours, et il n'est pas tout à fait dépourvu de moralité.
Ainsi, sur "Doin My Job", détaille-t-il comme bien d'autres avant lui le contexte social à l'origine du deal. Sur "T.I. vs. T.I.P", il s'engage dans un dialogue entre ses deux personnages, le délinquant du début et le parvenu d'aujourd'hui. Sur "I Still Luv You", il exprime des remords pour les dégâts causés à sa copine, à son père et à sa fille. Et sur "Be Better Than Me", il exhorte les autres à sortir de la rue, à se libérer de cette "trap" qui retrouve son sens originel : celui de piège.
S'exprimer sur le quotidien des dealers n'est souvent qu'un prétexte pour T.I. Dès l'introductif "Trap Muzik", elle lui sert à parler d'une autre existence, toute aussi précaire, cruelle et concurrentielle : celle de rappeur. La métaphore est filée sur plusieurs titres. Par exemple, le parallèle entre les deux vocations est constant sur "Be Easy". Et "I Can't Quit" ne parle pas de sa dépendance à la drogue (ou à la délinquance), mais de son addiction à la musique, de son envie de persévérer malgré la déconvenue de son premier album.
T.I., en effet, n'abandonnera pas : ni sa carrière de rappeur, qui l'emmènera loin, ni son aura de malfaiteur. Il ne tranche pas, comme avec ce "Long Live da Game" où on ne sait pas trop s'il dénonce ou s'il rend hommage à son statut de dealer. Car T.I., en fait, restera toujours T.I.P., il demeurera la petite frappe des débuts. Et c'est ce que l'on aimera chez lui. C'est ce "Rubber Band Man" impénitent. C'est tout ce qui reste de Trap Muzik, une fois le disque dépouillé de ses joliesses soul / R&B et des moments moralisateurs conditionnés par sa sortie en major. C'est cette trap music véritable que bien d'autres après lui, à commencer par Young Jeezy, emmèneront bientôt au comble de sa pure impureté.
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