La scène rap de Baton Rouge a toujours été moins exposée que ses voisines. Elle est demeurée périphérique et confidentielle. Certes, avec le temps, quelques figures se sont fait connaître à plus grande échelle : Young Bleed fut le premier, à la fin des années 90, par sa proximité avec Master P et No Limit. Puis, dans les années 2000, ce fut le tour de Lil Boosie et de Webbie, qui bénéficièrent quant à eux du parrainage de Pimp C. Enfin, plus récemment, Kevin Gates s'est imposé à l'échelle nationale. Mais jamais la ville n'a vraiment été l'égale, aux yeux du public, de ces centres du rap sudiste que sont Atlanta, Memphis, Houston, Miami et La Nouvelle-Orléans.
Elle n'a pourtant jamais cessé d'être vivace. Depuis l'ascension de Kevin Gates, la presse semble d'ailleurs s'en rendre compte, qui se penche maintenant de plus en plus sur la multitude de rappeurs qui y sévissent, et qui révèle des gens qui n'avaient pas attendu d'être médiatisés pour devenir des stars locales. Dans cette ville où la violence criminelle comme les brutalités policières n'ont jamais cessé, la plupart des rappeurs entretiennent sans surprise des envies de meurtre. L'un des collectifs éminents de Baton Rouge, la Cain Muzik Mafia, avait d'ailleurs intitulé une mixtape Promotin' Violence au début de la décennie. Qui plus est, histoire de montrer que cela n'était pas du chiqué, son leader Mista Cain a été inculpé de meurtre à peu près au même moment. Et l'un de ses protégés, Scotty Cain (ou Corleone), un des talents les plus prometteurs de la ville, est passé lui aussi en prison pour tentative d'assassinat.
En parallèle, cependant, le sauvageon qui s'appelle pour de vrai Samuel Nicholas n'a pas oublié de faire de la musique. Il a commencé à faire parler de lui en 2014 avec le titre "Yeah With the Yeah", en compagnie d'un certain Lah Bubba. Puis, quand il n'était pas en prison, il a embrayé avec ses mixtapes de la série Mafia Musik. Parfois présentée comme un album, la troisième est sortie un peu plus tôt en 2017. Et elle constitue, pile au bon moment, quelques mois après qu'un beef avec l'autre valeur montante de la ville, NBA YoungBoy (concrétisé par le morceau "NBA Smoke"), l'ait fait connaître un peu davantage, une bonne introduction à l'intéressé.
Scotty Cain ne poursuit qu'un objectif : nous prouver qu'il est une brute endurcie. Il déroule sans en dévier toute la thématique gangsta : les filles lui tombent aux pieds, l'argent déborde de ses poches, ses diamants sont aveuglants, il a des armes, il tue des gens, il annihile ses rivaux, les dealers travaillent dur, les faux gangsters sur Internet sont des nases, etc. Il exploite un registre où l'influence de No Limit est évidente. Elle est même soulignée quand, sur le single "Toys", sont samplés quelques mots de Master P, issus du "Bring the Noise" de Young Bleed.
Mais avec son timbre aigre et un flow plus maîtrisé qu'il n'y parait, ce rappeur a tous les atouts pour sublimer ce matériau générique. La manière dont il joue des répétitions et dont il module le volume de sa voix sur le tube sur "First Day Out (Saucin' When I Walk)" et sur "Die a Rela Nigga", la hargne dont il fait preuve avec Spitta (un autre rappeur remarquable de Baton Rouge) sur "Target Practice", sa façon d'exploiter le potentiel mélancolique de l'Auto-Tune sur des titres menaçants comme "Run Em'", "Gettin Money", "Ain't Gone Ride", "Salute" et le final "Before a Show"... : tout marque sur Mafia Musik III. Scotty Cain s'y adonne à ce rap explicitement sale et subrepticement plein de spleen, qui bien souvent s'avère le meilleur.
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