'"In New York, I milly rock, hide it in my sock". A en juger par l'entêtante introduction de "Magnolia", le titre le plus connu de Playboi Carti, il y est question de dealer du crack dans la grande métropole de l'Est américain. Mais cela est trompeur. Certes, on y trouve, sinon les thèmes, en tout cas le lexique habituel de la trap music et de ses déclinaisons : le fric, les fringues, les filles, et tout le tintouin. Mais les paroles, en vérité, ne disent rien. Il s'agit tout simplement d'une suite d'ad-libs et d'onomatopées, dont le but ultime n'est que de sonner agréablement à l'oreille. Playboi Carti, représentant de ce mumble rap dont Young Thug et quelques autres ont été les précurseurs, fait juste de la musique avec sa bouche. Il s'inscrit dans une longue lignée qui comprend le scat, le beatboxing et, oui, le rap en général, un genre dont la valeur textuelle est souvent exagérée, et dont la valeur ne se limite pas aux paroles.
"Magnolia" est donc rempli de "what", de "flock", de "drop" et de "woo". Il fait rimer "whip" avec "whip", et "Mazi" avec "Mazi". Et il est vachement bien. Produit de main de maître par Pi'erre Bourne (ancien associé de Young Nudy, devenu le collaborateur attitré de Playboi Carti), accompagné d'une musique minimaliste mais enivrante, avec en guise de refrain l'instrument dans la tendance du moment (la flûte), ce single est, sinon le meilleur de l'année, le plus important. Il capture l'esprit de l'époque, il encapsule tout ce qui fait l'essence du rap de 2017. Il est l'apothéose du buzz qui, depuis un moment déjà, montait autour de Playboi Carti.
Le jeune homme d'Atlanta, en effet, n'a pas attendu 2017 pour faire parler de lui. Bien que présentée comme sa première mixtape, Playboi Carti a été précédée en 2012 par une autre, The Young Misfit, sortie quand un Jordan Carter alors âgé de 16 ans se faisait appeler Sir Cartier. Ensuite, il a rejoint Awful Records, la clique de rappeurs décalés emmenée par Father, avant de fréquenter ASAP Rocky. L'attention pour le personnage est ensuite montée, avec en 2015 le succès viral du single "Broke Boi". Depuis, il a intégré le label Interscope, entretenu l'intérêt des fans en livrant des snippets de ses titres, et rejoint la liste des Freshmen. Autant dire que Playboi Carti, une mixtape qui a tout d'un premier album, était attendue au tournant.
A première écoute, cependant, celle-ci laisse un goût d'inachevé, d'incomplétude : placé dès le début, "Magnolia" en est le meilleur morceau, et de loin. Tous les autres paraissent fades en comparaison. Ils n'en sont que la répétition. Exceptés ces intrus que sont les nappes d'Harry Fraud sur "Location", le minimalisme de "New Choppa" (la collaboration avec ASAP Rocky) et le chant évaporé de Leven Kali sur "Flex", ils ne sont qu'une longue déclinaison de cette formule mumble rap avec leur jolie musique indolente, leur suite d'onomatopées (voire de rugissements de lion), leur célébration sans fin des produits de luxe et des drogues récréatives.
Il manque aussi à Playboi Carti les "Broke Boi" ou les "What" qui ont fait connaître le rappeur. Cependant, son contenu ne doit pas être dédaigné. Certains titres, comme "Dothatshit!", ne sont pas loin de l'excellence de "Magnolia". Et puis, en jouant autant des facéties adolescentes des rappeurs aux cheveux colorés, à la Lil Yachty ou Lil Uzi Vert (ce dernier participe à deux morceaux), que d'un expérimentalisme hérité peut-être de son bref passage chez Awful Records, Playboi Carti nous dresse ici un parfait état des lieux du rap de 2017, à Atlanta.
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