En 2014, Nicki Minaj est la reine du monde. Non seulement est-elle la plus célèbre des rappeuses contemporaines (et la seule à figurer en bonne place dans le classement Forbes des artistes les plus fortunés), elle est aussi une star de la télé grâce à l’émission American Idol, et elle a lancé sa propre marque de parfums, ainsi que sa ligne de vêtements. Mais à force, la personnalité publique, la diva aux tenues extravagantes, la chanteuse pop qui marche sur les pas de Lady Gaga avec sa pop aux intonations très dance, a fini par éclipser la première incarnation de Nicki Minaj : la rappeuse new-yorkaise à la virtuosité exceptionnelle, celle qui avait révélé son talent au micro sur des mixtapes, celle aussi qui, en 2010, avait surclassé Jay-Z et quelques autres sur le morceau "Monster", de Kanye West, grâce à un couplet d’anthologie.
Cette version originale de Nicki Minaj, cependant, nous a promis un grand retour, avec un troisième album annoncé comme plus hip-hop que les précédents. Pour souligner le propos, elle l'a intitulé The Pinkprint, le présentant ainsi comme le pendant féminin du classique The Blueprint, de Jay-Z, rien de moins. Et de fait, elle rappe sur la quasi-totalité des titres de ce projet, se lançant dans une imitation de Biggie sur "Four Door Aventador", et renouant avec des exercices rap traditionnels, comme les égo-trips qu’elle livre sur "Feeling Myself", un duo avec Beyoncé, ou sur "Want Some More", un titre dans le style d’Atlanta produit par Zaytoven et Metro Boomin. Cependant, à la grande déception de ceux qui n’aiment que la Nicki Minaj hip-hop, cette sortie n’en demeure pas moins un blockbuster, avec un gros contingent de chansons pop et R&B, sous la forme de ballades amoureuses mélancoliques, nourries par la rupture récente de la rappeuse avec Safaree Samuels, son compagnon depuis plus de dix ans.
On entend donc de tout sur The Pinkprint : des odes crânes à l’amour physique à deux doigts de la pornographie, de la pop paramétrée pour la piste de danse ("The Night Is Still Young") et des complaintes sentimentales que n’aurait pas reniées Céline Dion. Avec le tube "Anaconda" (une relecture du "Baby Got Back" de Sir Mix-a-Lot), Nicki Minaj se lance avec effronterie dans un hymne aux gros derrières, et sur "Get On Your Knees", elle entraîne Ariana Grande dans un numéro de femelles dominatrices. Le sexe domine aussi sur le dancehall "Trini Dem Girls", clin d’œil aux origines trinidadiennes de la rappeuse. Mais ailleurs, sur un "I Lied" atmosphérique produit de main de maître par Mike Will, elle revient sur les faux-semblants de la relation amoureuse qui vient de s’achever. Et sur l’élégiaque "Grand Piano", le seul titre intégralement chanté, elle est la victime de la manipulation sentimentale opérée par son ancien amant.
Ce morceau est la conclusion d’un album où, grosso modo, à l’encontre de ce qui a été annoncé, domine le registre de la romance. Au bout du compte, les fans de rap ne trouveront pleinement leur compte qu’avec les diverses versions augmentées de l’album, quand Nicki Minaj y ajoutera ses titres les plus rudes et audacieux, comme "Shanghai", et "Big Daddy", où l'accompagne son futur amant Meek Mill, ou quand elle proposera son égo-trip le plus triomphant, "Win Again", les éthérés "Mona Lisa" et ""Put You in a Room", réservés à l’édition anglaise du disque, étant les seuls morceaux bonus à en rajouter sur le thème de la rupture.
Plus que son disque rap, The Pinkprint est en fait l’album personnel de Nicki Minaj, qu’elle entame par des souvenirs douloureux sur l’autobiographique "All Things Go", celui de l’avortement qu’elle a dû subir adolescente, celui aussi de Nicholas Telemaque, son cousin mort pendant une fusillade en 2011. C'est un album où l’un des meilleurs titres, "The Crying Game", nous parle avec tristesse d’une relation violente, et où deux autres temps forts, "Pills n Potions" et "Bed of Lies", traitent d’amours compliquées. The Pinkprint est (toutes proportions gardées, pour une sortie tout de même très grand public et très calculée) le grand disque cathartique de Nicki Minaj. Rap ou pas, qu’importe, il est son meilleur album. Conformément à ce qu’elle avait annoncé, il est bel et bien son The Blueprint à elle, il est sa grande œuvre.
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