Under Construction a été le plus grand succès de celle qu'on est en droit de considérer comme la figure féminine majeure de l'histoire du rap. C'est tout dire de l'importance de ce quatrième album. Riche en tubes, d'une créativité folle, il est le produit d'une Missy Elliott (et d'un Timbaland, son vieux complice et producteur) au faîte de sa gloire commerciale et critique. Il se présente aussi comme l'opus le plus rap de celle qui est également une chanteuse R&B.
Quand elle cesse de traiter des thèmes habituels au registre R&B (l'amour et ses difficultés, la féminité...) ou qu'elle ne pleure pas ses chères disparues ("Can You Hear Me"), Missy Elliott cherche, sur cet album, à rendre hommage aux pionniers du rap. L'imagerie hip-hop est mise en avant dès la pochette, où la rappeuse, la silhouette amaigrie après un régime draconien, pose devant un mur de briques et un radiocassette évocateurs des premiers temps de cette culture. Et tout au long de l'album, on peut entendre des scratches, des citations des grands noms des années 80 (Run-D.M.C, les Beastie Boys, Public Enemy ou bien encore Slick Rick), ainsi que des raps dans le style sobre de la old school, comme "Funky Fresh Dressed" et "Hot".
Missy Elliott collabore aussi avec Method Man sur une relecture de son classique "Bring the Pain", puis avec l'empereur du rap, Jay-Z, pour un "Back in the Day" nostalgique. Sur ce morceau, le duo se remémore un bon vieux temps idéalisé, où le hip-hop n'était encore qu'un plaisir insouciant rempli de bonnes vibrations et imperméable à la violence. Ce dernier titre, toutefois, se montre bien fade. Il fait partie de quelques pétards mouillés que compte cet album certes historique, mais très inégal, comme son titre (en construction) semble le dire.
Car pour dire vrai, ce n'est pas par sa conformité aux canons du hip-hop que Missy Elliott séduit. C'est, au contraire, par son indifférence aux routines du genre. C'est son iconoclasme, ainsi que les expérimentations de Timbaland, qui leur valent la considération et les remixes d'artistes EDM comme Basement Jaxx et Fatboy Slim. C'est l'aspect bizarre, et pourtant totalement pop et irrésistible, de singles qui posent les bases de la variété afro-américaine des années 2000. Et dans ce registre-là, Under Construction apporte entière satisfaction. Des titres comme "Go to the Floor" et "Slide" reviennent bel et bien à l'essence festive et dansante du hip-hop des débuts, mais avec des sons (grosses basses, percussions étranges) plus modernes.
Toutefois, il y a plus fort encore. "Gossip Folks", par exemple, un titre avec Ludacris où la rappeuse s'en prend aux rumeurs à son sujet (sur son poids, sur sa sexualité…) et dont le refrain use de manière géniale des chants d'enfant issus de "Double Dutch Bus", un vieux morceau funk de Frankie Smith. Et puis bien sûr, cet album est celui de "Work It", l'un de ses tubes les plus incroyables. Illustré par l'une de ces vidéos créatives et décalées dont ils ont le secret, "Work It" est une ode féminine au plaisir sexuel où Missy Elliott et Timbaland s'autorisent tout : des sirènes, une phrase passée à l'envers dans le refrain, des barrissements d'éléphant pour suggérer le sexe masculin. Rien qu'avec ce titre, sans même le reste, Missy Elliott et Under Construction auraient déjà assuré leur place dans le grand panthéon du rap.
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