Les Luscious Jackson ont longtemps été considérées comme des Beastie Boys au féminin. Si ce jugement était un peu rapide et réducteur, il n'était pas totalement infondé. Kate Schellenbach, l'une de leurs membres, avait été en effet le batteur des Beasties, à l'époque du EP Polly Wog Stew, alors qu'ils étaient encore un groupe de punk hardcore. Dix ans plus tard, ces quatre filles blanches deviendraient la première signature du label fondé par les trois mauvais garçons, Grand Royal. Et surtout, de manière plus fondamentale encore, Kate, Jill Cunniff, Gabby Glaser, Vivian Trimble étaient comme eux le produit de ce New-York des années 80, où punks, rappeurs et artistes branchés se côtoyaient au sein d'un même bouillon de culture.
Sorti en 1992, ce premier EP de Luscious Jackson (un nom gag dérivé de celui du joueur de basket Lucious Jackson), était une sorte de cousin féminin de Check Your Head, l'album sorti la même année par les Beasties. Comme lui, et à la manière d'un Beck un peu plus tard, il mêlait de manière inextricable les deux musiques qui avaient influencé les deux groupes, hip-hop et rock alternatif ; deux genres qui, à la même époque, de manière parallèle, atteignaient une popularité inédite et stratosphérique auprès de la classe moyenne blanche américaine.
Les filles rappaient, la plupart du temps. Le premier titre du EP, le single "Let Yourself Get Down", montrait des traces d'égo-trip, et il était en quelque sorte une invitation à la fête, dans la lignée du hip-hop original. Elles appréciaient les collages sonores, l'éclectisme comme avec la guitare flamenco en introduction de "Daughters Of The Kaos", les rythmes heurtés et les sirènes. Elles usaient de boîtes à rythme et de samples. Et elles trouvaient ces derniers chez les artistes attendus, par exemple Funkadelic sur "Life Of Leisure". Ce même funk se trouvait aussi sur l'instrumental "Bam-Bam", qu'on aurait cru sorti tout droit d'un film blaxploitation.
Tous ces éléments étaient hip-hop. Mais l'ambiance, les sons de guitare acoustique (voire électrique sur "She Be Wantin It More"), tout comme les harmonies vocales, évoquaient plutôt des horizons pop indé. Et il en était de même des paroles. Même quand les thèmes étaient ceux du rap ("Life Of Leisure" dressait le portrait d'un player, "Daughters Of The Kaos" parlait de violence), les textes étaient moins bavards, les propos étaient moins frontaux, et le parti-pris, subtilement féministe, moquait en quelque sorte la pose machiste de l'homme sur la pochette. En fin de parcours, avec des titres comme "Keep On Rockin' It" et "Satellite", et une fois mis de côté le débit saccadé des couplets, le EP devenait même franchement rock.
Avec le temps, les quatre filles reviendraient à leurs sources pop rock. Elles pencheraient de plus en plus dans cette direction, comme avec leur plus grand succès, le titre "Naked Eye" en 1996, avec Fever In, Fever Ou, le (bon) album d'où il serait issu, ou bien, de manière plus affirmée encore, avec le très raffiné duo Kostars, formé en marge par Vivian Trimble et Jill Cunniff. Mais sur In Search of Manny, un disque qui peut raisonnablement être considéré comme leur meilleur, l'équilibre entre leurs deux influences, symbolisé par ce passage sur "Keep On Rockin' It" où raps et chants se superposaient, était encore parfaitement dosé.
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