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LIL' KIM - Hard Core

Albums rap

LIL' KIM - Hard Core

Rarement album n'aura été aussi bien nommé que Hard Core. D'abord, parce que Lil' Kim, qui avait vécu pour de vrai dans la rue après s'être fâchée avec son père, y pratiquait un rap de voyou vantard et pas commode, assez proche de celui dont elle avait été la maîtresse, Notorious B.I.G. (lequel aurait écrit une portion significative de ses paroles). Cette posture de sauvageonne était manifeste sur plusieurs titres, comme ce sommet d'agressivité et de facilité verbale qu'était l'impressionnant "Queen Bitch". L'autre raison pour laquelle le premier album de Kimberly Jones faisait honneur à son titre, c'est qu'il était conforme à la définition première du terme : il était intensément pornographique. Ce qui n'aurait rien présenté de neuf dans le rap, si ces textes avaient été prononcés par quelqu'un d'autre qu'une jolie jeune femme.

LIL' KIM - Hard Core

Avant les queues me faisaient peur,
mais maintenant j'y jette mes lèvres,
je manie ce truc comme une vraie chienne

Voilà donc (après une introduction où l'on entendait un homme se masturber devant un film X dont elle était l'actrice…), ce que Lil' Kim nous affirmait dès le premier vrai titre de Hard Core, le tube "Big Momma Thang", avec Jay-Z. Tout était déjà dans ces quelques mots, sans doute les plus célèbres et les plus commentés de la New-Yorkaise. Avec sa voix de jolie garce, elle nous parlerait de sexe, usant de la même rudesse que ses collègues masculins. Elle offrirait à ses auditeurs les poses lubriques et l'apparence aguicheuse qui sauraient les émoustiller.

Mais qu'on ne s'y trompe pas, Lil' Kim garderait la maîtrise de sa sexualité. C'est bien de ses fantasmes à elle qu'elle nous parlait sur "Dreams", quand elle imaginait ses ébats avec les stars mâles du R&B. Sur "Spend a Little Doe", un récit de sa romance gangsta avec le désormais décédé Biggie, elle séparait les sentiments du plaisir physique. Sur "We Don't Need It", femme et hommes du collectif Junior M.A.F.I.A. revendiquaient une pratique du sexe oral sans limite ni discrimination. Et sur "Not Tonight", un hymne au cunnilingus (bientôt suivi d'une autre version avec les stars Angie Martinez, Da Brat, Missy Elliott et Left Eye), le refrain affirmait crânement qu'elle ne voudrait pas manger de verge ce soir, mais plutôt qu'on lui dévore l'entrejambe.

Cette dimension hypersexuelle est, indubitablement, la grande contribution de Lil' Kim au rap, voire à la musique en général. Avec le succès considérable de ce projet (auparavant, jamais un disque de rap féminin n'avait été aussi bien classé dans les charts), avec aussi cette réplique qu'aura été la sortie une semaine plus tard de Ill Na Na, le premier album de sa future rivale Foxy Brown, plus rien ne serait comme avant. Après elle, au-delà même du hip-hop, il deviendrait plus commun, voire plus admis, d'entendre chez les chanteuses les pires insanités de caractère sexuel. Elles pouvaient désormais proclamer fort leur droit à l'amour physique et objectiver leurs partenaires masculins, alors que cela aurait été jugé infamant autrefois.

Hard Core marquait une autre évolution du rap, une évolution annoncée par cette pochette qui, en plus de la posture suggestive de Lil' Kim, exhibait une débauche de détails (fleurs, champagne, peau d'ours, cheminée) qui sentaient bon le confort nouveau riche. La rappeuse proclamait en effet sa passion pour les diamants et les grandes marques, sur "No Time", en duo avec Puff Daddy, sur "Drugs" avec Biggy, sur "M.A.F.I.A. Land", et ailleurs encore. Ces envies de luxe et de volupté se traduisaient aussi par une ambiance soul / funk plus luxuriante qu'avec le rap de rue new-yorkais de l'époque, et par les vocalises R&B lascives de ses invitées.

En plus de sa surenchère pornographique, Lil' Kim franchissait une étape supplémentaire dans l'avènement d'un rap hyper-matérialiste, que ses détracteurs qualifieraient bientôt de bling-bling et ses partisans de Ghetto Fabulous. La force de son album, c'est qu'il assouvissait la soif de revanche de deux catégories autrefois brimées : les Afro-américains qui n'ont rien, et les femmes à qui a longtemps été refusé le contrôle de leur sexualité ; deux catégories auxquelles Lil' Kim appartenait, et qu'elle émancipait d'un coup sur ce disque en tout point historique.

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