Avec le temps, il était devenu épuisant de suivre Lil B. Qui d'autre que la cohorte (très) acharnée de ses fans, en effet, avait le courage de se palucher ses sorties d'une durée de quatre ou six heures ? Qui donc voulait encore plonger dans ses mixtapes trop longues, afin d'en repérer les pépites ? Qui, en dehors des adeptes de sa secte, s'intéressait encore à un Based God dont la dernière lubie avait été de jeter des mauvais sorts aux stars de la NBA ? Cependant, en juillet dernier, alors même que ses sorties commençaient à se faire rares, Lil B s'est rappelé aux souvenirs de tous avec une mixtape annoncée depuis 2010. A l'époque, seule la pochette était connue, dessinée comme son classique 6 Kiss par l'auteur de comics Benjamin Marra. Mais en 2017, Brandon McCartney s'est enfin décidé à lui donner une forme tangible.
Et grâce à ce Black Ken, à nouveau, Lil B fait l'actualité. Mieux, certains considèrent déjà cette mixtape comme son œuvre définitive. Sur le titre "Hip Hop", le rappeur déclare d'ailleurs avoir consacré les deux dernières années à la peaufiner. Qui plus est, cette sortie est d'une durée raisonnable, à l'échelle de l'intéressé, avec "seulement" 27 titres et 100 minutes. Elle est aussi, plus que jamais, le travail d'un seul homme, le Based God ayant totalement pris en charge les raps et la production, et n'ayant invité qu'un seul collaborateur, iLoveMakonnen. Il s'est aussi concentré sur son architecture, ayant agencé ce projet en phases musicalement très distinctes.
Au début, Lil B s'emploie à nous ramener vers les années 80. Après une introduction instrumentale qui sent bon le synthétiseur à l'ancienne, on y entend les phrasés hachés de cette ère. L'homme qui, par le passé, se demandait s'il était toujours un rappeur, déclare cette fois que le hip-hop est de retour, et privilégiant l'égo-trip à papa. Sur "Wasup JoJo", il nous sort des "I said a hip to the hop, a hop to the hip" datant d'une époque révolue. Sur "Berkeley", on entend de bons vieux scratches. Et sur "Hip Hop", Lil B exalte l'imaginaire hip-hop new-yorkais. C'est pourtant essentiellement à la Californie que se réfère Lil B. C'est au microcosme dense, éclectique et bouillant qu'a toujours été la scène de la Bay Area, et plus particulièrement à sa propre base, la ville de Berkeley. Ce sont tous ces alentours qui sont glorifiés sur des titres comme "Still Run It" et "Bad MF", le rappeur partant souvent dans un rap sûr de soi et rempli de saillies sexistes, tel qu'on a pu l'entendre chez le grand parrain des environs, Too $hort.
Cet ancrage local devient patent quand, au tiers du projet, sur un "Pretty Boy Skit", un fan du rappeur le ramène à son registre d'origine, à celui qui dominait la Baie au temps de son premier groupe, The Pack. Les titres suivants, en effet, sont hyphy. Les beats sont synthétiques, rythmés et dansants, la voix se fait âpre et les refrains, sauvages, assènent des slogans. Lil B nous emmène dans le club, auprès des filles, et ses paroles nous invitent à l'abandon. Le mot d'ordre est celui donné par le titre "Go Stupid Go Dumb". Au détour d'un morceau tel que "Global", il est question de gloires locales The Jacka, Joe Blow ou Messy Marv. Et c'est à travers la Baie que Lil B conduit sur "Ride (Hold Up)", le titre qui, à la fin de la série, ralentit le tempo.
Et puis, après un "Mexico Skit", le Based God part dans tous les sens. Il s'engage dans ces escapades fantaisistes qui le caractérisent depuis qu'il se présente comme le gourou d'une secte. Sans encore quitter le club, il s'engage sur des terres latines avec "Zam Bose (In San Jose)" et "Go Senorita Go", dans le but sans doute de célébrer la forte présence hispanique en Californie, et il joue au séducteur (ou au prédateur sexuel) sous Auto-Tune sur "Turn Up (Till You Can't)", "Ain't Me" et "Raw". Puis Lil B rend hommage à sa patrie ("West Coast"), tout autant qu'à sa propre personne ("The Real Is Back", "Rawest Rapper Alive (2017)", "Da Backstreets"). Il se livre à un long égo-trip qui finit dans l'apothéose d'un fantasmé "Live from the Island – Hawaii", mais où s'insèrent parfois des commentaires sociaux et des plongées introspectives.
Kaléidoscope musical, matériau composite, Black Ken est, en fait, un monument à la carrière du rappeur, tout autant qu'un hommage à la scène qui l'a formé. Cette mixtape tant annoncée est aussi celle de la consécration pour Lil B, en tant qu'incarnation ultime, à l'époque contemporaine, du rap très prolifique et inépuisable propre à la Baie de San Francisco.
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