John Wayne, le célèbre acteur de westerns, s'appelait en fait Marion Morrison. Son nom de scène, il l'avait volé à une figure de la Guerre d'Indépendance américaine, le général Anthony Wayne, dit "Anthony le Fou". Mais le rappeur Jonwayne, lui, un lointain descendant de ce personnage historique, se nomme bel et bien ainsi (ou Jonathan Wayne, plus exactement). Et c'est là le seul lien entre John et Jon, le rap du second n'étant pas franchement celui d'un cowboy, surtout pas sur ce dernier album, où on le voit sortir péniblement d'un trou profond.
Le rappeur, en effet, a connu un sérieux passage à vide. Après ses débuts dans les soirées du Low End Theory, ultimes avatars de la scène West Coast Underground lancés par ce bon vieux Daddy Kev, il a rejoint d'abord la structure de ce dernier, Alpha Pup. Puis Peanut Butter Wolf a pris le relai, et l'a signé sur Stones Throw. C'est sur ce label qu'est sorti un troisième album intitulé sobrement Rap Album One, le plus médiatisé à ce jour, et dont celui-ci se présente comme la suite. Entre les deux, cependant, il y eut un gros blanc : Jonwayne, qui souffre d'un alcoolisme très sévère, s'était mis en tête qu'arrêter la musique le délivrerait de ses démons.
Mais en 2016, dans un message sur Facebook, il a annoncé revenir sur ce voeu de silence pris après un matin funeste où, en tournée européenne, il avait émergé d'un coma éthylique qui aurait pu lui être fatal, la gorge en feu et les draps inondés de vomi. Jonwayne, donc, s'est remis à la musique, avec l'appui du fidèle Daddy Kev (qui a mixé l'album et qui le distribue), mais il n'a pas fini de régler ses problèmes avec ses addictions. Ce nouveau projet porte sur ce sujet. Le titre "Blue Green" revient même sur ce réveil glauque qui lui a fait comprendre sa dérive. Il traite aussi de son rapport avec l'art. De sa voix lourde, le rappeur nous y parle de l'impossibilité de vivre une vie normale quand on se dévoue à la création. L'artiste doit signer un pacte faustien qui fait que sa création, par elle-même libératrice, est alimentée par la mise en danger et par l'autodestruction. Elle est aussi une condamnation éternelle à l'immaturité.
Dans la la lignée de ce hip-hop de blanc indé et intello dont il est un héritier, Jonwayne adopte une posture intime. Ses paroles sont pleines de doutes, d'inconfort social et de haine de soi (voire de haine des fans, comme avec la saynète de "LIVE from the Fuck You"). Il est aux antipodes du rap ordinaire, et il le souligne avec "The Single", où on le voit tenter à trois reprises un rap fanfaron, mais échouer à chaque fois. Il nous cite Kant et Van Gogh, et son style "lyrical" est riche en allitérations, comme attendu d'un homme entré dans le rap par la poésie. Sa musique aussi, appartient à cette école. Sobre et austère, jazzy, marquée par des rythmes lents et dépouillés, jouant de textures sonores et des boucles de vrais instruments, comme le violon de "Human Condition", l'orgue de "The Single", le piano de "Paper" et "Blue Green", la harpe de "These Words are Everything", elle sonne plus new-yorkaise que californienne.
Présenté comme cela, ce nouveau Jonwayne ne paraît pas très avenant. Pourtant l'humour, la distance et l'autodérision n'en sont pas exclus. Apparaissent aussi quelques traces d'optimisme sur les deux morceaux avec Zeroh, "Afraid of Us", où il cherche à trouver le réconfort dans le contact avec les autres plutôt que dans la fuite, et le court "Hills", où il parle de remonter la pente. Et puis il y a le conclusif "These Words are Everything", une réconciliation avec les mots et avec le rap. Comme avec cette pochette, où il n'a jamais montré d'aussi près cette tête qui ressemble si peu à celle d'un rappeur, Jonwayne s'y accepte enfin tel qu'il est. Au bout du compte, Rap Album Two est le récit de sa rédemption. Il est aussi une apothéose musicale.
Fil des commentaires