Le rap anglais se porte bien. Pas seulement ce grime qui, depuis qu'il suscite l'enthousiasme de rappeurs nord-américains, connaît une deuxième jeunesse. Mais tout le rap anglais, dans ses diverses déclinaisons. L'accueil favorable que reçoit J Hus depuis sa mixtape de 2015, The 15th Day, et cette année avec son premier album, Common Sense, est une illustration de cette grande forme. Avec lui, le succès est au rendez-vous (le single "Did You See" a cartonné), les stars locales cooptent le jeune homme (il contribue au titre "Bad Boys" de Ghetts et Stormzy, sur le dernier album du second), et la critique se montre bienveillante à son égard.
Et pourtant, donc, les racines de J Hus ne se limitent pas au grime des deux hommes susnommés. C'est d'abord d'évidentes sonorités africaines que l'on a entendues chez ce garçon d'origine gambienne, sur "Did You See", mais aussi sur le très bon "Spirit" et sur ce "Good Time" interprété avec la star nigériane Burna Boy. J Hus, en effet, est associé à la vogue actuelle du UK Afrobeats, une musique qui mélange la pop du continent noir à des sonorités plus modernes, qui a convergé vers le rap (suivant un chemin parallèle à notre afro-trap française), et qui a conquis les clubs de Londres.
Cette recette de synthèse, cependant, ne domine pas tout le disque. D'autres influences se manifestent : celles du grime, du dancehall ("Bouf Daddy"), du garage ("Plottin'"), logiques chez un Anglais. Et d'autres encore, plus américaines, venant des années 90-2000 ("Goodies", "Common Sense"), usant de "vrais" instruments ("Closed Doors"), orientées trap et drill music ("Clartin") ou lorgnant vers le rap éthéré sous Auto-Tune typique de la décennie 2010 ("Leave Me").
Comme son accent et son usage intensif d'argot est-londonien ne l'indiquent pas, la vocation de l'Anglais vient du rap d'Outre-Atlantique, notamment celui de 50 Cent. Momodou Jallow a même suivi une voie similaire à celle de son idole quand, peu avant son essor, il a subi un grave assaut (lui fut poignardé, plutôt que canardé). Son profil de mauvais garçon, passé par la prison en 2014, transparait dans son pseudo : si "J" est l'initiale de son nom de famille, "Hus" est une abréviation de "hustler". Le rappeur, toutefois, est présenté comme quelqu'un d'affable et d'attentionné. Ce qui, avec son large spectre d'influences musicales (canalisées par le producteur Jae4), indique la pluralité de ses facettes.
Common Sense, en effet, est très éclectique. J Hus use de tous les registres. Il joue au nouveau riche ("Common Sense"), au branleur ("Bouf Daddy") ou au tombeur ("Like Your Style", "Sweet Cheeks"). Il prend du bon temps ("Good Time"), il se fait drôle ("Friendly") ou menaçant ("Goodies"). Mais ailleurs, dépressif, il nous plonge dans les méandres de sa psyché ("Leave Me", "Who You Are"), nous fait entrer dans son intimité amoureuse ("Closed Doors") ou il nous retrace son parcours ("Spirit", "Good Luck Chale").
Common Sense, au bout du compte, est un blockbuster. Il est de ces disques bien rappés, bien produits, où rien n'est laissé au hasard, et où, au prix d'un trop grand éclectisme, il en faut pour tout le monde. La particularité de J Hus, c'est qu'il cuisine cette recette à l'anglaise. Et il le fait bien. Rien ne jure sur son premier album. Tout coule de source, tout s'agence en un tout cohérent. Jamais le rappeur ne paraît copier les autres ou s'effacer devant leurs styles. Tout est uni par sa personnalité, aussi versatile et contradictoire soit-elle.
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