En France, dans les années 90, le premier nom que l'on associe au format mixtape est sans conteste celui d'Anouar Hajoui, alias Cut Killer. Avec quelques autres comme DJ Clyde et DJ Poska, il en a été le précurseur. Pionnier du scratch et animateur radio, le DJ a importé le concept dès 1993, après avoir observé son importance et son développement à New-York. Il l'a d'abord fait sur un mode exclusivement américain, en ne compilant que des artistes d'Outre-Atlantique. Mais avec le temps, ses cassettes se sont ouvertes aux morceaux et aux freestyles de Français, ceux de Fabe, avec qui il cosigna sa cinquième mixtape, comme ceux d'IAM, La Cliqua, Timide et Sans Complexe, Lunatic ou les Sages Poètes de la Rue.
Double H Production :: 1996 / 2005 :: acheter la mixtape
Ce fut le cas de Ménage à 3, sa mixtape numéro 17, et l'une de ses plus prisées (au point d'être rééditée en CD dix ans après, sous la pochette reproduite plus haut). Celle-ci reposait, en majorité, sur des titres américains (signés Das EFX, KRS-1, Smif-N-Wessun, Method Man, Redman, Group Home, Sadat X, entre autres), la plupart excellents comme le "Fades Em All" de Jamal, le "Cold World" de Genius/GZA, et le "Fugee-La" des Fugees. Mais après ce long florilège new-yorkais qu'était "Microphone Master", DJ Cut Killer laissait place aux interventions et aux freestyles des gens qui donnaient leur nom à la mixtape, Ménage à 3, un collectif connu pour avoir hébergé quelques futures figures du rap français, comme Monsieur R et 2 Bal 2 Neg'. Et plus tard, il finissait le tout en faisant s'exprimer tout le monde, les Américains et les Français, sur les mêmes instrumentaux.
Malgré tout ce que Cut Killer devait au modèle américain, on percevait sur cette mixtape quelques traits caractéristiques du hip-hop à la française des années 90 : son fort tropisme East Coast, tout d'abord, la plupart des rappeurs présents venant de là, à l'exception de Tha Dogg Pound et de Snoop Dogg, sur "Smooth" ; une prédilection pour la face la plus sombre, austère et urbaine de New-York, à la quasi exclusion des joliesses R&B que l'on retrouvait sur nombre d'autres mixtapes ; une place de choix réservée aux scratches ; quelques intonations ragga ici et là, avec par exemple un morceau du Jamaïcain Capleton ; et des accents de prédicateur, comme avec l'intervention du trio 3 Coups sur la musique du Parrain.
Ce ton pontifiant, l'une des grandes limites habituelles du rap d'ici, était toutefois très loin de dominer. Les morceaux en Français, pour l'essentiel, se faisaient au contraire très ludiques, créatifs et recréatifs, investissant un style loufoque dans la lignée de Busta Rhymes, comme avec cette joyeuse divagation sur Paris qu'était "Ad Hoc Mène la Barre", ou l'improvisation totalement débridée de "Les Techniques Restent au 3". Ménage à Trois épousait en fait de façon idéale, et c'était là toute la force de cette sortie de Cut Killer, les libertés offertes par le format mixtape.
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