Le premier carton du rap féminin, dans les années 90, n'est pas venu des pôles habituels. Le premier disque de platine obtenu par une rappeuse en solo, en effet, fut le fait d'un drôle d'attelage composé d'une résidente de Chicago et d'un producteur d'Atlanta, bien avant que ces villes ne deviennent des places fortes du rap, à la place de New-York et de Los Angeles. Ce Funkdafied qui s'écoula au-delà du million d'exemplaires, fut conçu par la jeune Shawntae Harris, alias Da Brat, avec l'appui de Jermaine Dupri, qui l'avait signée sur son label So So Def.
Connu à cette époque pour avoir permis le succès du groupe Xscape et de Kriss Kross, c'est via ces derniers que Dupri avait fait la connaissance de Da Brat. Celle-ci, qui venait de remporter un concours de rap local sponsorisé par Yo! MTV Raps, avait impressionné les deux ados, qui l'avaient présentée à leur producteur. Sous le charme, il l'avait alors prise sous son aile. Et comme nous étions au plus fort de l'ère g-funk, il avait maximisé ses chances en lui concoctant un album aux sonorités très West Coast, tandis que la rappeuse, tant par son phrasé que pour son goût pour les tresses, s'inspirait largement de l'homme du moment : Snoop Doggy Dogg.
Donnant raison à son pseudonyme (la morveuse, la sale gosse), Da Brat jouait les gangsters. Dès "Da Shit Ya Can't Fuc Wit", le premier titre, ou plus tard sur "Ain't No Thang" elle était agressive, et elle jurait comme un charretier. Elle était déjà cette sauvageonne qui se distinguerait plus tard par sa propension à frapper d'autres femmes à coups de bouteilles de rhum. Comme les gangsters californiens, ses mots d'ordre étaient hédonistes. Elle invitait les auditeurs à faire la fête et à se relaxer sur sa musique ("Mind Blowin'"). Et sur "Fire it Up", elle célébrait son goût pour les joints. A l'époque de l'album Unrestricted, influencée par l'irruption des Lil' Kim et autres Foxy Brown, Da Brat adopterait à son tour une allure sexy. Mais pour l'heure, elle jouait encore à fond son rôle de garçonne habillée en baggy et pleine de bagout.
Comme ses collègues de la West Coast, et comme le titre de l'album l'annonçait, la fille de Chicago optait pour un son qui s'inspirait du funk des années 70 et 80, celui de Funkadelic, de Kool & The Gang, et des autres. Dans le plus pur style g-funk, Da Brat recourait aux refrains chantés ("May Da Funk Be Wit 'Cha"), elle s'exprimait sur des sirènes ("Come and Get Some") et elle jouait du contraste entre la dureté de son personnage et les sons chaleureux, mélodiques et soyeux que Jermaine Dupri lui préparait. Et dans sa bouche, le "Rat-tat-tat-tat" de Dr. Dre devenait un "Brat-tat-tat-tat". Le clin d'œil à la scène californienne était si prononcé, que le producteur samplait aussi les artistes du cru, The D.O.C. et Snoop Dogg, sur le morceau "Funkdafied", un duo suave entre sa protégée et lui. C'était complètement dans l'air du temps, cela confinait au plagiat, mais avec un timbre de voix féminin qui suffisait à faire la différence.
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