Sortie début 2014, Young Jefe n'a sans doute pas été la meilleure mixtape de Shy Glizzy. Fxck Rap, par exemple, ainsi que les trois volumes de la série des Law, ont été plus satisfaisants. Mais elle a été sa sortie la plus accessible et la plus exposée, grâce surtout au single "Awwsome". C'est elle, sans doute, qui a ouvert la voie à sa reconnaissance, et l'a aidé à intégrer, un peu plus tard dans la même année, le 300 Entertainment des influents Lyor Cohen et Kevin Liles, et à rejoindre ainsi d'autres gens très chauds comme Young Thug, Migos, Fetty Wap, Rich the King et Tate Kobang.
Il était donc logique que le rappeur de Washington décide cette année d'en livrer une suite, et qu'il choisisse d'y mettre les formes, avec tant de soins que cette seconde édition de Young Jefe se révèle nettement supérieure à celle d'avant.
Young Jefe 2, d'abord, est l'affaire du seul Shy Glizzy. Elle ne compte pas d'invité, si l'on excepte les producteurs (Zaytoven, Childish Major, Austin Millz, Doughboy Beatz...) et, sur l'interlude "OG Call", les salutations téléphoniques de C-Murder depuis la prison où le vétéran de No Limit purge une peine pour meurtre. Pour l'essentiel, le rappeur y est lui-même, sans calcul, sans gros titre qui tape. L'ambiance privilégiée ici est atmosphérique, voire neurasthénique.
Ses paroles ne donnent pas dans le blues de gangster de saison. Elles ne sont que fanfaronnades et agressions, et elles rendent compte d'une pure vie de "G". Mais dès "Let It Rain", la musique, tout comme les fredonnements frêles de Shy Glizzy, s'inscrivent en faux contre cette insolence.
Il y a un indéniable fond de tristesse sur Young Jefe 2, une mélancolie lancinante, comme quand, derrière les vantardises et le matérialisme du rappeur, sur "Bankroll", est invoquée la figure récemment disparue de Bankroll Fresh. Sur "Think About It", sur un piano gambadeur typique de Zaytoven, Shy Glizzy admet même, le temps de deux vers :
I thought this gangsta shit was really fun, nigga
Until I started playin' with them guns, nigga
Je pensais que cette merde gangsta serait vraiment fun, négro
Jusqu'à ce que je commence à jouer avec ces guns, négro
Sur ce titre final, il abat sa carte maîtresse : l'intensité. Mais il en joue aussi bien avant, sur "New Crack", avec les violons de "Ride 4 U", qui traite des mirages de l'amour dans les quartiers, et avec les synthés de "Waiting On My Time".
Sur ce dernier morceau, Shy Glizzy dit attendre que son heure vienne. Le succès grand public, de fait, n'est peut-être pas encore là pour le rappeur. Comme Mozzy et Kodak Black, deux sensations rap récentes qu'il s'amuse à citer ici et là, il en est à la croisée des chemins. Mais sa production, son œuvre, pour être pédant, commencent à être significatives.
Mine de rien, sur une scène washingtonienne devenue sur le tard une place forte du rap avec des gens tels que Wale, puis Fat Trel, ce n'est pas ces derniers qui y construisent l'une des plus discographies les plus riches du rap contemporain. Non, comme le démontre cette mixtape réussie, le "young jefe" de la capitale fédérale, son jeune chef, c'est Shy Glizzy.
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