La ville de Houston abrite l'une des scènes rap les mieux établies, c'est entendu. Depuis les années 80, elle a apporté au genre un contingent considérable de grands rappeurs, et développé une identité forte. Et cela a continué au cœur des années 2010, quand la sensation locale est devenue The Sauce Factory. Ce collectif aux frontières floues, dont les membres les plus éminents sont Sosamann et les faux frères des Sauce Twinz, s'est fait connaître par une pluie incessante de mixtapes, mais aussi par un beef avec Drake. Ce rapace, comme à son habitude, avait cherché à se présenter comme l'ami et le protecteur de rappeurs prometteurs. Mais ceux-là, fiers et jaloux de leur ville, avaient choisi de lui dénier tout droit à la représenter.
Leur loyauté à la tradition rap de Houston, les Sauce Twinz l'ont manifestée dans leurs interviews. Ils ont été parrainés par une gloire locale, Slim Thug. Ils proclament leur respect envers Fat Pat, rappeur culte de la Screwed Up Click décédé en 1998. Et il est facile d'identifier dans le concept mal défini de "Sauce" (un synonyme de "style", ou "allure", plus ou moins), comme dans leurs paroles et dans les couleurs mauves qu'ils privilégient sur leurs pochettes, des allusions au sirop à la codéine, la drogue reine en la ville texane. Toutefois, en dépit de leur esprit de clocher, Sauce Walka et Sancho Saucey ressemblent à des héritiers de la trap music d'Atlanta, plutôt qu'à des continuateurs de la musique cinématique et screwed de Houston. Sur cet In Sauce We Trust, le grand manifeste de la Sauce Factory, ce sont en effet des sons trépidants qu'on entend, ainsi que des raps de doux dingues comparables à ceux de Migos.
Comme ces derniers, le duo reprend les bases gangsta nihiliste et "ego-trippique" du rap sudiste, pour les pousser dans les directions les plus farfelues. Les répétitions sont là, sur "Drip", "2 Legited 2 Quited", "Cheese" et "93", et elles sont employées ad nauseam. Les onomatopées aussi, en premier lieu "oooweee", leur signature vocale. Leurs vers dépassent rarement quelques mots. Les rimes sont simples. Comme attendu de la part d'hommes qui ne se reconnaissent pas la qualité de rappeurs, les mélodies sont rudimentaires et le phrasé est saccadé. Mais leurs raps cocasses sont proprement possédés, Sancho Saucey et plus encore Sauce Walka manifestant, envers leur notion de "sauce", une ferveur quasiment religieuse.
Ensemble ou séparément, et avec les autres membres de la Sauce Factory, les Sauce Twinz déclineront à l'infini leur formule, envahissant le circuit des mixtapes, au point de saturer le fan le plus acharné, de l'amener au bord de l'épuisement. Mais dans cette discographie abondante, avec le Trap'd Out 2 de Sosamann, In Sauce We Trust surnage, malgré son obésité musicale. Du piano désarticulé de "Know the Sauce Twinz", au steel drum irrésistible qui ouvre "Westheimer", à l'essai R&B "Stay Down" et au soupçon de rap social sur "Black on Black Crime", l'un de leurs morceaux les plus puissants et les plus inhabituels, on tient quelques-uns des meilleurs moments de la Sauce Factory, et donc du rap texan du milieu des années 2010.
Fil des commentaires