Aujourd'hui, quand on associe le rap à Toronto, on pense à Drake. Cependant, bien avant que celui-ci ne soit une star et qu'il n'attire l'attention vers celle qu'on appelle désormais "The Six", la métropole était déjà une terre de rap. C'était, pour citer un exemple parmi bien d'autres, la base de Hand'Solo, un label qui, à partir de 1996, a joué un rôle clé dans l'underground canadien, et qui, aujourd'hui encore, défend avec vigueur une esthétique qu'on pourrait qualifier de "backpacker avancé" : encore très ancrée dans les années 90, mais différente, singulière, soit pour son côté loufoque, soit pour son rejet des routines. RoyceBIRTH, leur dernière signature, un rappeur et beatmaker issu de Toronto même, ne déroge pas à la règle.
Même s'il est associé à eux depuis qu'il a contribué à Treat of The Day, l'album le plus célébré du rappeur maison Ghettosocks, RoyceBIRTH a pourtant peu en commun avec les garçons nerdy, déjantés et souvent blancs qui sont légions sur ce label. Il a lui aussi des bases boom bap solides, comme il l'a prouvé sur son deuxième album, un Caesar Is Home assez classieux dans le genre. Comme ses collègues d'Hand'Solo, aussi, il n'hésite pas à défier et maltraiter cet héritage. Mais sa démarche est plus ouvertement et plus sérieusement expérimentale, comme le laisse supposer le titre de ce troisième album, Art of Fire!!. Sur celui-ci, en effet, notre homme se joue des machines et de sa voix, il fait du hip-hop sens dessus dessous, et il l'infuse d'une énergie et de guitares hargneuses, avec quelques moments rock'n'roll, comme la suite formée par "Deliberate Or", "Abandon U" et "The Rhythm, The Rebel", ou plus tard "Let the Devil Win".
RoyceBIRTH aime se réinventer. Alors que le sombre et brut Caesar Is Home marquait déjà une rupture avec la soul, le jazz et les chants du mélodique theREBIRTH, son premier album, Art of Fire!! pousse la démarche plus loin encore. Seules les percussions bizarres de titres comme "City in my Soul" et "Hello World", présageaient autrefois de ce qu'il nous offre ici, à savoir un hip-hop psychédélique semé de distorsions sonores, de guitares malmenées et de raps étouffés. Avec cet album, nous sommes près du Edan de Beauty and the Beat, mais en plus frénétique, bruitiste et lo-fi, un Edan influencé par l'ère punk, plutôt que par la pop sixties.
Le résultat est, à vrai dire, moins concluant. Comme nombre d'expérimentateurs, RoyceBIRTH s'égare parfois trop loin dans le bruit et les effets. Mais il convainc aussi. Malgré la voix masquée, "Goodbye!" est efficace comme du bon vieux boom bap. Les raps de "In My Darkest Hour" collent avec ses percussions brutales et sa mélodie en arrière-plan. Si la boucle toute en handclaps de la chanson d'amour "Kismet" est fatigante, celle de "I Wasn't Taught" est proprement hypnotique, tout comme la rythmique d'un "Root For the Villain" presque kraut rock. En somme, on pourra reprocher beaucoup de choses au producteur et rappeur de Toronto, mais sûrement pas de bouger, d'évoluer, de chercher. Et parfois même, de trouver.
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