Il semble, album après album, que nous approchons toujours plus du cœur de la machine PNL, que nous sommes tout près d'atteindre sa substantifique moelle. Le premier, Que La Famille, dévoilait déjà ce spleen du dealer, souvent interprété à l'Auto-Tune, qui est l'ossature de leur formule. Mais les morceaux y étaient encore assez divers, et l'amateur habituel de rap français pouvait y trouver ses marques. Le second toutefois, Le Monde Chico, se concentrait sur l'essentiel, en amplifiant le blues des deux frères par une musique planante, en devenant quasi uniformément cloud rap. Cette évolution, Dans La Légende la mène à son terme. Le troisième album, celui du triomphe, de la conquête définitive d'une très large audience, franchit un autre palier. Il s'affranchit encore plus de ce que, en France, la plupart des gens entendent par "rap".
Autrefois, certains ont espéré que le rap s'émancipe quelque peu de ses paroles les plus sulfureuses, graveleuses ou dangereuses, pour que ne ressorte plus que l'originalité de ses formes. Ils doivent être bien déçus aujourd'hui, car il s'est déroulé exactement le contraire. Ce que montre PNL, c'est que le vocabulaire des cités s'est imposé, mais que, plutôt que de persévérer dans la dureté et la sècheresse du hip-hop originel, il a investi un pré-carré réservé autrefois à la variété : refrains chantés, paroles reposant sur des évocations plutôt que sur des punchlines, mélodie et mollesse de la musique, extrême sensitivité (avec leurs cœurs de dealers, les PNL n'ont jamais su dire "je t'aime"). On en est tellement proche qu'Ademo et N.O.S s'autorisent les fantaisies d'une ritournelle avec guitare latine ("Luz de Luna") et d'une autre aux accents caribéens (Bené"), toutes deux aussi suaves que sucrées, et plutôt abouties.
Ces morceaux, cependant, sont des exceptions. Pour l'essentiel, Dans La Légende est un bloc, homogène et monolithique : toujours plus éthéré, toujours plus désespéré. Les deux frères investissent encore leur thème central, le deal de drogue, avec cet escapisme peu convaincu, qui se traduit par des envies de voyages interplanétaires, avec un aquoibonisme qui leur vaut d'être considérés, à tort ou à raison, comme les représentants d'une jeunesse apathique et désengagée. Et l'ensemble est exploité de manière toujours plus abstraite et évanescente, via des bribes de pensées et des allusions à la pop et à la nerd culture (animés, sport, jeux vidéos, etc.). Tout juste observe-t-on l'émergence timide de deux sujets inédits : le succès, et les filles.
Comme le présageait la vidéo de "La Vie est Belle", où ses rituelles mises en scène aux quatre coins de la planète prenaient un tour très National Geographic, le duo ne fait qu'affiner la formule qui l'a déjà fait gagner. Il vit sur ses acquis. Pour autant, pas d'auto-caricature. Il y a toujours de l'épaisseur chez PNL, des paroles, parfois même des onomatopées, qui leur sortent des entrailles, et des sons qui vous saisissent à la gorge. D'emblée, la mélancolie puissante de "Da" en est une démonstration. Plus tard, avec "Tu Sais Pas" et "Humain", on retrouve le PNL possédé de l'album d'avant. Et certains des titres les plus posés ou mélodiques, comme "Bambina" et "Onizuka", approchent l'excellence. Et que dire du splendide "Jusqu'au Dernier Gramme", où se trouve concentrée toute la philosophie du duo ("Igo la vie est moche, donc on l'a maquillée avec des mensonges") ? Avec un finale de cet acabit, nul besoin de courir après les versions rose et orange de l'album, qui l'augmentent chacune d'un titre bonus distinct.
Seulement, ces grands moments intenses sont moins visibles que sur Le Monde Chico. Ils sont comme fondus dans une grosse masse de neurasthénie. Cela, certes, n'a rien freiné du phénomène, qui a atteint des niveaux stratosphériques à la rentrée, quand cet album est sorti. Désormais, même ton grand-père connaît PNL. Et les révélations sur leur filiation (pour mémoire, leur père serait René Andrieu, un ancien gangster qui eut cause liée à l'industriel Serge Dassault) ont relancé de plus belle les théories complotistes à leur sujet, lesquelles contribuent depuis le début à l'hystérie médiatique. N.O.S et Ademo sont entrés dans la légende, donc. Mais il y a de cela plusieurs mois, en fait. Bien avant ce troisième album très réussi, le plus pur, le plus essentiellement eux, et pourtant pas nécessairement le plus grand.
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