Les "projects", aux Etats-Unis, sont les équivalents de nos HLM français. Il s'agit de vastes projets immobiliers lancés par les pouvoirs publics, censés abriter les classes les plus laborieuses, et qui finissent souvent par devenir des coupe-gorges, des endroits où la criminalité devient l'alternative à la pauvreté, ouvrant la voie au règne de la drogue et de la violence. D'origine haïtienne, Dieuson Octave a grandi dans l'un de ces lieux, Golden Acres, à Pompano Beach, au nord du très touristique Fort Lauderdale. Et manifestement, il tire son inspiration de ce lieu, comme l'ont indiqué les titres de ses premières mixtapes, sorties à 16 et 17 ans : Project Baby, fin 2013, et l'excellente Heart of the Projects, une année plus tard.
Cette dernière est la sortie qui a fait décoller l'ancien Lil' Black, un ancien membre du groupe local Brutal Youngnz, devenu Kodak Black le jour où il a ouvert son compte Instagram. Deux titres à en être issus, le tube "No Flockin" et le mélancolique "SKRT", ont été cooptés par Drake, un homme devenu le meilleur accélérateur de carrières dans le rap. Et d'autres rappeurs en vue, comme Earl Sweatshirt, Meek Mill et Kevin Gates, ont contribué aussi à attirer l'attention sur le jeune homme. A la suite de cette mixtape, il a connu une année 2015 agitée, marquée par l'intérêt croissant des maisons de disque, tout autant que par des déboires judiciaires.
Heart of the Projects rend donc compte de la réalité sociale qui a accompagné la formation de Kodak Black, un garçon qui a grandi sans père, et mené très tôt une vie de débrouille et de délinquance qui l'a conduit en maison de redressement. Il nous transporte d'emblée au cœur du sujet, avec la scène de meurtre qui ouvre la mixtape. Puis il nous relate un ordinaire fait de filles, et de drogues, produites ou consommées, le tout sur le ton primesautier de sa jeunesse, avec des passages rapides de l'exaltation à la tristesse, typiques de l'adolescent qu'il est encore. Kodak Black représente les quartiers chauds de la Floride. Mais pour bâtir son style de rap, il a porté son regard plus loin. Il n'a pas pris modèle sur les artistes de la scène proche de Miami, mais sur d'autres : Chief Keef, par exemple, dont on perçoit l'influence dans les rimes simples mais obsédantes d'un "Benji's" ; et surtout Lil Boosie, que Kodak Black révère, et dont on perçoit l'héritage dans sa voix aigre et le caractère souvent mélodique de son rap.
L'influence est subtile, cependant, car sur Heart of the Projects, Kodak Black apparait déjà comme un rappeur accompli. La mixtape est longue, 76 minutes, mais on ne s'y ennuie pas. Les morceaux irrésistibles y sont nombreux, du manifeste "Heart of the Project", aux tubes entêtants que sont le saccadé "I'm that Nigga", "18", "1K", et "My Wrist", un titre dédié à son poignet, une partie de son corps très sollicitée quand il concocte de la drogue. Et quand sa musique se fait plus suave et que ses rythmes sont moins soutenus, Kodak Black se montre plus convaincant encore, comme avec les singles, "No Flockin" et ce "SKRT" qui nous parle d'une relation désabusée aux femmes, mais aussi le mélancolique "Take Me Away", et "Molly", déclaration d'amour lancinante à la substance du même nom. Les déchets sont rares, sur cette mixtape d'une richesse rare pour un rappeur aussi neuf. Avec elle, à pas même 18 ans, le Project Baby, l'enfant des "projects" de Floride, a prouvé qu'il avait déjà tout d'un grand.
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