Gucci Mane n'a jamais été un artiste à albums. Il y a bien eu, autour de ce qui fut l'année la plus faste de sa carrière, 2009, un moment où l'on a cru qu'il allait concrétiser son talent sur ce format, avec The State vs. Radric Davis. Même Murder Was the Case, sorti quelques mois plus tôt, à l'arrache, et renié par son auteur, fut en fait un bon disque. Mais l'essentiel de l'œuvre de Guwop, on le sait, se trouve depuis 2006 sur ses mixtapes. Ses meilleurs projets, ce sont Chicken Talk, les trois volumes de The Movie, voire ceux de Cold War, Writing on the Wall, ou bien encore Mr Zone 6. Que des sorties gratuites, distribuées à un rythme phénoménal. Et pourtant, à la mi 2016, on a bien pensé qu'il allait le sortir, son projet commercial de référence, et que le monde entier était enfin mûr pour cela.
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En 2009, en effet, Gucci Mane ne faisait pas encore l'unanimité. Sa trap music burlesque, déclinée sous la forme de comptines et produite à un rythme infernal sur un mode industriel, n'était pas du goût de tous. Mais sept années plus tard, il a gagné. Beaucoup, avec le temps, ont été convertis. Et si l'arrière-garde de ses détracteurs n'a pas disparu, elle se fait discrète, ayant constaté la même chose que tous les autres : à savoir que le cœur du rap actuel, de l'après trap d'Atlanta à la drill de Chicago, est une conséquence de la musique que cet homme a défendu dix ans plus tôt. Sa sortie de prison, le 26 mai, avec une apparence changée et une silhouette plus élancée (donnant naissance sur le Web à cette intéressante théorie de clonage par la CIA…), a donc été célébrée à sa juste mesure : comme le grand événement de l'année rap. Il ne suffisait plus qu'à retourner au studio, et à capitaliser au plus vite avec un album. Ce qu'il fit deux mois plus tard, en proposant un disque intitulé à raison "Everybody Looking". Tout le monde regarde.
Ce retour triomphal, Gucci Mane en fait le thème principal de cet album : sur "No Sleep", il déclare avoir beaucoup à dire, tout en jetant un regard critique sur sa carrière passée et sa consommation de drogues ; sur "All My Children", il met en valeur son immense influence sur la génération rap actuelle, faite toute entière de ses "enfants" ; sur le chouette "Waybach", il renouvelle ses vieilles amitiés ; et, en contrepoint de ce "1st Day Out tha Feds" qui traite de son expérience carcérale, "Guwop Home" célèbre le retour à la maison du père prodigue. Pour démontrer son aura, le maître n'a invité ici que des rappeurs de tout premier plan : Kanye West, Drake, et Young Thug, lui-même un disciple de Guwop. Quant aux producteurs, ils sont aussi deux références qui lui doivent en partie leur succès : son collaborateur historique Zaytoven, et son ancien protégé Mike Will Made It.
Everybody Looking est parfois l'œuvre d'un nouveau Gucci Mane, quand il se livre et qu'il partage des regrets. Mais pour le reste, il est fidèle à lui-même. Sur un titre bonus, "Multi Millionaire Laflare", il demande qu'on remplace ses menottes par des Rolex, montrant ainsi qu'il ne reniera rien de son ultra-matérialisme humoristique. Celui-ci est le plus souvent à l'œuvre, par exemple quand il se dit le "Richest Nigga In The Room", ou qu'il prétend ne fréquenter que de gens gagnant plus qu'un million, avec "At Least a M". Sur "Pop Music", il redevient dangereux et menaçant. Avec "Pick Up the Pieces", un autre très grand moment de cet album, il nous parle des dégâts causés par son irrésistible ascension. Sur "Pussy Print", il célèbre son narcissisme en compagnie du rappeur le plus atteint au monde par ce travers, Kanye West. Et Il nous gratifie bien sûr de ses petites mélodies accrocheuses, de ses "Gucciiiii", de ses "yeah" trainards et de ses "burr" usuels.
Beaucoup, aujourd'hui, sont mûrs pour Gucci Mane. Cela a été démontré par l'accueil réservé à cet Everybody Looking, premier de ses albums à être en tête des ventes rap aux Etats-Unis, en sa première semaine d'exploitation. Il est accessible, et à conseiller à ceux qui chercheraient encore la clé vers l'univers du rappeur. Bref, cette sortie est bien. Mais au fond, pas plus que ses mixtapes ordinaires ; ce qui est, même si ça n'en a pas vraiment l'air, un sacré compliment.
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