En 1989, Richard Quivetis fut sévèrement blessé après qu'une voiture l'ait percuté. Le jeune homme, alors âgé de 20 ans, fut cloué au lit pour longtemps. Ce fut un moment difficile, mais aussi un tournant. Incapable de bouger, n'ayant plus pour distraction que ses platines vinyle, il oublia les artifices gestuels et visuels associés à la carrière à laquelle il se préparait, celle de DJ, pour ne plus se consacrer qu'à une chose : le son, la musique, la composition. Ses platines, désormais, il les utiliserait comme un instrument, elles seraient au cœur même de son processus créatif. Et avec quelques autres, dont plusieurs Américano-philippins de San Francisco, tout comme lui, il ouvrirait l'ère des DJs virtuoses, celle des turntablists.
Autoproduit / Preskool :: 1994 / 2001 :: acheter le disque
Quelques années après, associé à Mix Master Mike (plus tard le DJ des Beastie Boys), il marquera son emprise sur la profession en remportant plusieurs fois le championnat DMC. Les deux amis écraseront tant la concurrence qu'il leur sera demandé de ne plus participer à cette compétition de DJs, afin de laisser leur chance aux autres. Mais qu'importe, le DJ désormais connu sous le nom de Q-Bert investira d'autres champs. Avant d'apporter une contribution décisive au projet Dr. Octagon, de Kool Keith, il aura investi le champ de la musique enregistrée avec une cassette capitale pour le turntablism, Demolition Pumpkin Squeeze Musik.
Cette dernière reprenait le principe popularisé une décennie plus tôt par le pionnier Grandmaster Flash, tant sur mixtape que sur le single historique "The Adventures of Grandmaster Flash on the Wheels of Steel" : elle enchainait en un seul ensemble des extraits de titres issus d'univers différents, et les liait par des scratches. C'était une sélection de breakbeats, un peu à la manière du 52 Beats de Kid Capri, mais Q-Bert y jouait à fond de la manipulation des vinyles. Avec une dextérité hallucinante, il multipliait les collages. Et incessamment, il remplissait son mix trépidant de surprises, de coupures, de sons bizarres, de revirements imprévisibles, sans pour autant ne rien gâcher de la cohérence d'ensemble, maintenant tout du long une atmosphère ludique, jouisseuse et extatique.
Il repoussait aussi les limites de son champ d'investigation. Ce n'était plus seulement du rap, celui de Roxanne Shanté ou de son voisin Too $hort, qu'il triturait. Ca dépassait la soul, le funk, le disco et le R&B, même si ces musiques noires étaient encore majoritairement présentes, via par exemple James Brown, Bill Withers et les Jackson 5. Ca allait même au-delà du rock, un genre utilisé d'entrée, avec l'ouverture d'anthologie du "Tom Sawyer" de Rush. En fait, ça allait au-delà de la musique, puisque Q-Bert y ajoutait des extraits et des dialogues de dessins-animés, de films, de jeux vidéo, ainsi que des sons électroniques étranges. Il faisait flèche de tout bois. Avec lui, la mixtape devenait une discipline définitivement à part, un art total, qu'il transposerait plus tard sur album, aux grandes heures du turntablism, avec son premier opus Wave Twisters, puis une édition CD de ce jalon que sera devenu Demolition Pumpkin Squeeze Musik.
PS : ci-dessous, la pochette d'une réédition CD du début des années 2000
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