Indubitablement, Danny Brown a été le trait d'union entre deux époques et deux écoles : celle du rap classique des années 90, avec son boom bap et son goût pour les samples ; et celle du nouveau siècle, avec sa dégaine de rappeur zinzin cramé par les drogues. Il a su séduire des gens dans chaque camp. Tel est d'ailleurs, probablement, le sens du titre de l'album qu'il a sorti en 2010, The Hybrid. Ce dernier, cependant, n'est pas la seule pièce de choix qu'il a proposée cette année là, ni même la meilleure preuve que le rappeur de Detroit avait grandi les deux pieds dans un rap puriste, conçu à l'ancienne. Son parfait complément a été, à quelques jours de distance, la quatrième mixtape de sa série Detroit State of Mind.
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Ici, Daniel Sewell n'était pas encore le rappeur métamorphosé du dantesque XXX, le disque de la révélation. Il n'était même pas encore celui de The Hybrid, où il allait user pour la première fois de cette voix haut-perchée qui deviendrait sa signature. Ce disque sortirait huit petits jours après cette mixtape, et pourtant, ils n'étaient plus tout à fait dans le même registre. L'année même où une carrière à l'échelle nationale commençait à être envisagée (Danny Brown y raterait de peu une entrée chez G-Unit Records, 50 Cent n'aimant pas son look et la forme de ses jeans…), il restait ici purement concentré sur Detroit, comme l'indiquait le titre.
Sa ville était représentée, d'abord, par ses invités. La plupart étaient des vétérans ou des héritiers de la scène structurée autour de Jay Dee et de Slum Village, comme T3, rappeur issu de ces derniers, Black Milk, qui a produit les mêmes, le rappeur Guilty Simpson, ce revivaliste en chef qu'est Apollo Brown, et Quelle, leur compagnon de label (Mello Music Goup). La seule figure extérieure était ici le Californien DJ Babu, des Dilated Peoples, qui confirmait l'ancrage de Danny Brown dans l'univers des backpackers. La musique, de ce fait, divergeait peu des recettes éprouvées 10 ou 15 ans plus tôt, dont tous ces gens étaient les continuateurs. Detroit State of Mind 4 proposait du pur boom bap, du rap serti de samples et propulsé par des rythmes secs et impitoyables, loin de la diversité future des albums du rappeur de Detroit et, par exemple, de ses incursions dans le grime.
L'arrimage de Danny Brown dans des formules anciennes était tout aussi manifeste à la lecture de ses paroles. Dès le premier titre, "D-Boyz", il se lançait dans un descriptif d'une ville dangereuse. Et les suivants prolongeaient ce portrait, en s'épanouissant dans une veine gangsta, nous parlant de meurtres et de bitches, et forçant sur les fanfaronnades. Danny Brown puisait dans un passé qui, à contremploi de son futur statut de rappeur pour hipsters, relevait de l'ordinaire criminel, fait de trafics et de séjours en prison. Mais là encore, c'était un gangsta rap à la vieille mode, lyrical, déclamé avec un phrasé affuté, parcouru d'images, de métaphores et de punchlines habiles, adepte du storytelling ("Counterfeit"), et encore paré d'une dimension morale, avec des titres dépressifs comme "Fruit Cocktail", dédié aux drogues ("that's why we get high, cause we feel so low").
Tout cela était encore normal et attendu. Et pourtant, sur tel ou tel morceau, c'était déjà de haute volée. A mesure qu'on avançait dans Detroit State of Mind 4, on découvrait quelques prémices du futur Danny Brown, comme avec le moins habituel "L.O.L", produit par Black Milk. Et quelques titres comme "Contra" et le finale "The Wizard" portaient avec bonheur la patte d'Apollo Brown, ils usaient de son style, si prévisible, totalement réchauffé, et pourtant, du fait même de sa familiarité, si plaisant. Quand il était servi ainsi, Danny Brown n'avait pas besoin de devenir connu, ni même d'être original, pour se montrer déjà au-dessus du lot.
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